Le plus grand mystère du christianisme et donc de notre foi, réside dans ces mots antiques du Symbole de foi de Nicée-Constantinople : « Je crois […] en un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, […] qui pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s’est incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, et s’est fait homme. »
Ces mots, qui résonnent encore dans nos églises orthodoxes à chaque liturgie, dans certains offices aussi et même dans les prières quotidiennes des fidèles, sont essentiels.
« Dieu s’est fait homme. » Tel est l’un des dogmes les plus importants, telle est l’affirmation la plus indispensable pour nous chrétiens orthodoxes.
Ce mystère de l’Incarnation de la seconde Personne de la Sainte Trinité, que nous fêtons avec joie et allégresse encore aujourd’hui au XXIème siècle lors de la solennité de la Nativité selon la chair de notre Seigneur, nous place au cœur de notre vie chrétienne. Loin de l’esprit mondain et commercial qui s’est emparé de cette fête, en la dénaturant et en la déchristianisant au passage, il nous faut réfléchir sur le sens de cette venue de Dieu parmi nous.
« Le Christ vient au monde, glorifions-le, le Christ descend des cieux, allons à sa rencontre », chantons-nous inlassablement dans l’office de Noël et nous comprenons immédiatement qu’un événement hors du commun, qui vient rompre la routine et la griserie de notre monde, a eu lieu il y a deux mille ans et que nous actualisons chaque année, dans l’Église.
Oui, car il ne faut jamais perdre de vue que les fêtes que nous célébrons tout au long de l’année liturgique ne sont pas uniquement des rappels, des mémoires, comme si nous perdions la tête et qu’il fallait nous rappeler ce qui constitue notre foi et notre vie chrétienne. Non, toutes les fêtes que nous célébrons rendent présents les mystères commémorés, de même que les saints que nous fêtons chaque jour de l’année sont réellement présents et agissent dans l’Église et dans nos vies. En rendant présent le mystère, ou le saint fêté, l’Église nous permet de participer à ces mystères, de nous unir les uns aux autres et au Christ notre Dieu.
Le prêtre ou le diacre nous invite souvent dans nos offices à faire « mémoire de notre toute-sainte, immaculée, bénie par-dessus tout et glorieuse Souveraine, la Mère de Dieu et toujours-vierge Marie et de tous les saints. » Cette prière nous rappelle qu’effectivement la Mère de Dieu et les saints remplissent notre Église et célèbrent, prient avec nous lors de nos offices ou de nos prières personnelles. La même chose est valable pour nos fêtes liturgiques et bien sûr pour la fête de la Nativité de notre Seigneur.
Mais au fond, quel sens peut bien avoir pour nous le fait que Dieu prenne notre chair, qu’Il vienne dans notre monde ?
Les saints Pères nous répondent admirablement par saint Irénée surtout et saint Athanase d’Alexandrie : « Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devienne dieu, par grâce. » Tel est le sens de notre vie, son but aussi, devenir des ‘’petits dieux’’ comme le dit encore saint Basile ou comme le précise saint Grégoire le Théologien : « L’Homme est une créature qui a reçu l’ordre de devenir dieu. » Tout un programme !
Lorsque Dieu a revêtu notre humanité, Il a déifié cette humanité déchue et nous a ainsi tous potentiellement déifiés. Saint Maxime le Confesseur écrit : « L’illimité se limite d’une manière ineffable, tandis que le limité se déploie jusqu’à la mesure de l’illimité. »
Déification en ‘’germe’’ que nous devrons ratifier par notre baptême et les autres Mystères dispensés dans et par l’Église, ainsi que la vie ascétique qui nous aidera à assimiler, si l’on peut dire, tout ce que nous recevons en don.
Sans l’Incarnation, l’union de l’homme avec Dieu est impossible car, comme l’écrit Vladimir Lossky dans sa Théologie dogmatique : « Le Fils s’incarne pour rendre possible l’union de l’homme avec Dieu, non seulement interrompue mais interdite, sans recours humain, par le mal. Le premier obstacle à cette union, la séparation des deux natures (divine et humaine), l’Incarnation le supprime. »
Ainsi le chrétien orthodoxe devra toujours se souvenir de cette vocation céleste, qui l’appelle à devenir par grâce ce que Dieu est par nature.
Nous comprenons donc que tout dans l’Église est orienté vers ce but. Les Sacrements, les offices liturgiques, l’ascèse, la prière, n’ont d’autre but que de nous permettre cette participation à Dieu déjà – et il faut le réaffirmer – accomplie par le Christ. Oui, ce n’est que dans l’Église que l’homme peut accomplir ce grand mystère.
Si nous avons conscience de cela, alors toute notre vie deviendra une joie, une attente de Dieu qui est déjà présent mystérieusement dans nos cœurs de baptisés, un zèle pour lutter contre nos passions, et en définitive une union avec Dieu.
On peut dire que Dieu a fait son travail, Il a rendu possible notre union avec Lui. Il attend maintenant de nous que nous acceptions cette union et que nous puissions la rendre possible de notre côté. Les saints Pères de l’Église ont toujours insisté sur la notion de synergie : coopération entre Dieu et l’homme. Dieu donne sa grâce gratuitement, et pourtant il me faut faire des efforts pour être capable d’assimiler cette grâce, ce don et de ne pas le gaspiller ou le perdre.
Les saints de notre Église sont des exemples pour nous justement parce qu’ils vivent cette coopération avec Dieu. On peut ajouter que le sens de ce mystère est parfaitement illustré par la vie monastique, cœur et poumons de notre Église. Les moines nous montrent le sens profond de notre vie chrétienne et choisissent d’orienter leur vie entière vers ce seul but qu’est l’union à Dieu. C’est pour cela que tout dans notre Église vient des moines : l’office liturgique, les règles ascétiques, la vie spirituelle, le sens de la Tradition.
Ainsi, lorsque le cycle de l’année liturgique nous ramène à la fête de la Nativité de notre Seigneur, soyons conscient de notre vocation céleste et vivons en conséquence l’invitation que Dieu nous fait de lui devenir semblable.
Soyons attentifs à ce que la fête de Noël ne soit pas pour nous simplement l’occasion de moments agréables, en famille où les cadeaux et les festins remplaceraient l’unique cadeau et l’unique festin de notre monde, ce petit Enfant couché dans la crèche, le Dieu d’avant les siècles. Et vivons ce mystère non pas simplement le 25 décembre mais tout au long de notre vie chrétienne.
Archimandrite Silouane
L’archimandrite Silouane est l’higoumène du monastère de la Dormition de la Mère de Dieu, à La Faurie.
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