« Les adorateurs des astres ont appris d’une étoile à t’adorer, toi, le Soleil de justice », chante-t-on dans le tropaire de la Nativité. Les mages ont reçu la « lumière de la connaissance » qui vient de Dieu, non seulement par une étoile, mais par l’intermédiaire de la création toute entière, où se dessine la main de son Auteur à travers les semences du Logos. Les mages ne pensaient pas que les étoiles étaient d’essence divine, mais avaient compris qu’elles pouvaient désigner une réalité au delà de notre univers, faire signe vers leur unique créateur. Ils ont surtout su distinguer, le moment venu, le « soleil » qui représentait la venue du « vrai soleil de justice ».
Deux histoires de science-fiction peuvent nous faire réfléchir sur cette question de l’univers en tant que signe et langage d’une réalité qui le dépasse. La littérature de ce type se prête très bien à reformuler les anciennes questions et thématiques pour l’homme moderne, plus habitué à une image du monde purement rationnelle, où son mystère semble au premier abord caché. Ce type de littérature traverse et parfois transperce la mentalité rationaliste, et peut aider l’homme d’aujourd’hui à voir au delà de son expérience quotidienne.
Dans L’étoile (The Star), d’Arthur C. Clarke, un scientifique jésuite raconte un voyage interstellaire auquel il a participé et qui a, dit-il, ébranlé sa foi. Ce voyage à visée scientifique a été organisé pour entreprendre des recherches sur l’explosion d’une étoile qui avait détruit tout un système stellaire, à une distance de plusieurs milliers d’années lumière de la Terre. Les explorateurs y ont découvert les vestiges d’une civilisation supérieure à la nôtre, qui avait été détruite par la formation de cette supernova. Le fait qu’une civilisation puisse disparaître n’est pas ce que le scientifique jésuite trouve le plus choquant, car, pense-t-il, Dieu pourrait avoir des raisons de faire cela qui nous échappent. Mais fallait-il qu’il la laisse détruire seulement dans le but – la phrase finale nous le dévoile – de faire briller l’Étoile de Bethléem et attirer les mages d’Orient ?
Cette histoire pose non seulement la question du langage de l’univers, mais aussi de son « prix »: c’est le problème de la Théodicée. Le sens que Dieu inscrit dans la création peut-il se fonder sur des signes destructeurs de civilisations? Comment réconcilier notre foi en un Dieu qui aime sa création avec des événements qui montrent son apparente indifférence ou même cruauté envers certains ?
Mais qui nous dit que c’était seulement dans le but de créer un signe que Dieu aurait permis la création d’une supernova à des milliers d’années lumière de la terre? C’est une question que l’auteur ne pose pas, mais qui vient naturellement à l’esprit du lecteur avisé. La providence divine n’est-elle pas beaucoup plus difficile à discerner, beaucoup plus mystérieuse que cela, et peut-être l’est-elle encore plus depuis que nous savons que l’univers est plus grand et plus complexe, dans sa « matérialité » que nous le pensions auparavant ? C’est en tout cas ainsi que cette histoire peut être lue par quelqu’un qui est déjà sensibilisé à la question du paradoxe entre l’amour de Dieu et la présence du mal, entre le destin et la liberté humaine. C’est l’éternelle question du sens de la souffrance des innocents qui est également traitée ici, sans qu’elle reçoive une réponse rationnelle, comme dans le livre de Job. Mais elle est reposée dans le cadre plus moderne de l’univers dans son entièreté. On ne nous donne pas de réponses dans cette histoire, mais, par la question qui est posée, on ouvre notre entendement et notre réflexion.
Dans une histoire plus récente, La Tour de Babylone de Ted Chiang, on retombe sur la même question de la recherche du sens dans l’univers et de la recherche de Dieu Lui-même à travers des signes matériels. Cette fois-ci, la recherche se fait à travers un voyage aux limites de l’espace, ce qui correspond à la démarche des rois-mages en suivant une étoile comme signe. Dans un monde alternatif au nôtre, l’univers est physiquement constitué de la façon dont certaines cosmologies anciennes le voyaient: la voûte céleste est une paroi solide et on peut l’atteindre en construisant une très haute tour. Les hommes ont construit une telle tour, non pas pour défier Dieu et « devenir comme Lui », comme dans l’histoire de la tour de Babel, mais dans une démarche de recherche sincère et désintéressée. Ils veulent ainsi atteindre le « ciel », s’approcher de lui et mieux connaître ses mystères – un peu comme les voyageurs du Voyage du Passeur de l’Aurore du cycle de Narnia par C.S. Lewis veulent atteindre le pays d’Aslan par la voie de l’océan.
On nous décrit dans cette histoire la montée d’un groupe de mineurs qui doit maintenant, après des siècles de construction, creuser dans la voûte céleste pour atteindre le Ciel qui se trouverait derrière. Après une longue montée, ils commencent à creuser dans la voûte rocheuse. Seul Hillalum, le maître mineur qui raconte l’histoire, arrive à percer jusqu’à l’autre côté. Il est étonné de voir alors qu’il ne se retrouve pas au Ciel, mais sur une plaine terrestre. Il découvre finalement qu’il s’est retrouvé non loin de la base de la tour de Babylone. Le Ciel, conclut-il, n’est pas atteignable de cette manière-là, car le monde semble être comme un cylindre courbé dont les bouts se rencontrent et il est impossible de le quitter ainsi : on ne peut pas sortir de l’univers sensible en voyageant vers ce qui semble être ses limites. Hillalum est alors rempli d’émerveillement face à la sagesse de Dieu qui a construit un tel monde.
L’auteur veut-il dire que ce monde ne montre pas vers un autre, qu’il se suffit à lui même et qu’il serait impossible de voir Dieu transparaître dans sa création ? Je penche plutôt à penser, comme Hillalum, que sa théorie de la circularité de l’univers (qui correspond peut-être, dans notre monde, à la théorie de la courbure de l’espace) nous aide à comprendre que Dieu est inatteignable, dans sa transcendance, par un effort purement humain. « Par cette construction (de la tour), l’œuvre du Seigneur était indiquée, et le travail du Seigneur était caché », conclut le maître mineur. C’est une vision de l’univers comme mystère, qui dévoile Dieu tout en le voilant. L’œuvre de Dieu est révélée mystérieusement dans sa création, mais non de manière linéaire, comme semble le penser le personnage de L’Étoile, qui voyait le seul « but » de la destruction d’une civilisation dans le fait de montrer aux mages l’étoile.
La conclusion de cette histoire rappelle la vision du « tombeau vide » comme image de la résurrection, avec la question de l’ange : « Pourquoi cherchez vous le vivant parmi les morts ? ».
Dieu n’est pas là où notre recherche purement humaine pense pouvoir le trouver, Il est ailleurs; Il n’est pas à l’intérieur de l’univers mais le dépasse. En même temps, Il choisit de se révéler à nous, par l’intermédiaire de cet univers également ; non de la manière qu’on attendait, mais d’une manière qui nous surprendra toujours.
« Ta lumière nous a marqué de ton empreinte », et « Tu es venu, Tu es apparu, Lumière inaccessible », chante-t-on dans le kondakion de la Théophanie. La lumière qui brille par l’étoile rend accessible la « lumière inaccessible » de Dieu, car elle est un de ses reflets.
Nous voyons comment, par le langage littéraire de la science fiction, des écrivains arrivent à poser les questions philosophiques qui aident l’esprit du lecteur à se diriger vers une réponse.
Ainsi, les mages ont su comprendre, avec leur sagesse spirituelle, le langage de ce monde qui est un langage de Dieu, mais non un langage facile, discernable par des formules mathématiques. Ils ne se sont pas non plus arrêtés aux signes ; ils n’ont pas pensé, comme certains de leurs contemporains, que ces signes eux-mêmes étaient le but du voyage. Ils ont compris, en bref, ce que l’homme n’arrive pas toujours à comprendre. Car lorsqu’il a du mal à percevoir un sens dans la trame matérielle de l’univers si immense et si complexe, il se tourne plutôt vers d’autres théories qui l’y enferment, par exemple celles qui veulent voir dans les étoiles des maîtres de leur destin. Le rationalisme matérialiste, pourtant, ne devrait pas être dépassé par en bas, par la superstition ou la magie, mais par en haut, par la vision de la transparence et du langage mystérieux de ce monde.
Alexandra de Moffarts
Docteur en linguistique, Alexandra de Moffarts est enseignante de religion dans les écoles, en Belgique, ainsi qu’à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Jean (Bruxelles).
Les commentaires sont désactivés.