L’environnement et l’écologie sont depuis des années au cœur des actualités, des débats et des préoccupations. Tendance du moment, nouvelle idéologie ou question vitale pour la survie de l’humanité et du monde vivant ? Les opinions divergent, malgré un consensus scientifique sur l’urgence de la situation environnementale.
D’un point de vue orthodoxe, cette question peut aussi être abordée en s’inspirant des enseignements de la Bible et des Pères de l’Église. La figure du saint est particulièrement intéressante. Le saint est celui qui représente un modèle, une inspiration pour chaque chrétien dans son chemin vers Dieu, vers sa sanctification. Les vies de saints nous encouragent à reproduire leurs exploits spirituels, à prendre exemple sur leur humilité et leur obéissance à Dieu. On peut également s’en inspirer pour mieux comprendre quelle serait la relation harmonieuse de l’homme avec l’environnement, avec le reste de la Création de Dieu.
La Création, présence de Dieu
Les exploits spirituels des saints prennent souvent place dans des environnements hostiles et isolés : désert, grotte, forêt, île. Les saints s’isolent pour mieux se consacrer à Dieu. L’environnement semble être un obstacle, un élément qui ajoute de la difficulté dans le combat du saint envers ses passions. Pour les saints, il n’est cependant pas seulement un obstacle mais aussi un lieu où Dieu se révèle : dans la Bible, la montagne est souvent le lieu des manifestations divines, comme dans l’épisode de Moïse face au buisson ardent, ou Élie sur le Mont Horeb. Pour les saints, Dieu Lui-même est présent dans toutes ses créatures et toutes ses créations. Mgr Kallistos Ware affirme dans son ouvrage Tout ce qui vit est saint (2003), que « le cosmos tout entier est un vaste buisson ardent, pénétré par le feu de la puissance et de la gloire divine. » La nature devient alors un moyen d’accès à Dieu, parce qu’elle est pénétrée des énergies divines. Elle se révèle « un sacrement de la divine présence, un moyen de communion avec Dieu » (Mgr. K. Ware, 2003).
Le rapport qu’entretiennent les saints avec la nature est donc remis à sa juste place : cette dernière devient une créature de Dieu qu’il faut chérir, un lieu de présence divine qu’il faut honorer. Les panneaux « Aimez les arbres », affichés le long des chemins de la Sainte Montagne et que se rappelle Mgr Kallistos Ware dans son ouvrage, témoignent de cet amour que peut avoir l’homme sanctifié envers la nature. Cet amour ne s’apparente pas cependant à une religion de la création ou à du panthéisme. Si la nature porte la présence de Dieu et se fait buisson ardent, c’est parce que le saint est réceptif à cette présence et que, lui-même empli de la présence de Dieu, il voit la marque du Créateur dans toute la création et la révèle.
Transfigurer la nature : la vocation réelle de l’homme saint envers la nature
Le saint est l’homme sanctifié, transfiguré : par sa vie sainte, juste et par sa relation avec Dieu, le saint révèle son être profond au contact de Dieu, son être véritable. Cette révélation imprègne ses caractéristiques physiques qui prennent parfois un aspect lumineux, resplendissant, comme le raconte Motovilov à propos de Saint Séraphim dans ses Entretiens avec le saint : « Imaginez-vous un homme qui vous parle, sa face se trouvant comme au milieu d’un soleil de midi. ». Mais, contrairement à Moïse qui, transfiguré de la même manière, avait caché sa face sous un voile, le saint transfiguré ne se cache pas toujours et fait bénéficier toute la Création qui l’entoure de son état de grâce. Motovilov décrit par exemple la neige éclairée par la lumière rayonnante qui se dégage du saint et lui-même ressent une « agréable chaleur » en plein hiver russe.
La grâce accordée par Dieu à l’homme saint ne se cantonne donc pas uniquement à son être : il accomplit la vocation de l’homme de transfigurer toute chose, ainsi que le rappelle Mgr Kallistos Ware (2003) : « ce n’est pas seulement le corps de l’homme qui doit être transfiguré et devenir « porteur de l’esprit », mais toute la création matérielle ». La transfiguration de toute la « création matérielle » signifie révéler l’image véritable de la Création, celle d’avant la Chute. Le saint est donc celui qui affranchit la nature de la corruption, qui la glorifie et en révèle la transfiguration. Cela prend souvent la formes d’événements contraires aux lois naturelles : ainsi le lion devient « doux comme un agneau » (Vie de Sainte Marie l’Egyptienne), les animaux sauvages sont nourris et apprivoisés (Saint Germain d’Alaska et l’ours, Saint Guérasime du Jourdain et le lion). Ces manifestations sont communément ce que nous appelons des miracles : dans le saint, la Création reconnaît la présence de Dieu et c’est pourquoi elle lui obéit.
Elisabeth Behr-Sigel l’exprime ainsi :
« L’homme avant la chute possédait l’Esprit de Dieu et la nature lui obéissait comme à son Seigneur. (…) Le saint est l’homme en qui Dieu a renouvelé le souffle de vie perdu par Adam. Affranchi de l’empire du péché, il rend par son contact à la nature son état paradisiaque de spontanéité bienveillante, de transparence par rapport aux réalités spirituelles ».
E.Behr-Sigel, Prière et Sainteté dans l’Église russe (1950)
Suivre l’exemple des saints face à la nature
À travers les saints, nous voyons se dessiner le modèle d’une relation entre l’homme et la création telle qu’elle devrait être en Dieu. Le saint s’inscrit dans un environnement donné et, en travaillant sur sa propre sanctification, c’est pour celle de toute la création, homme, bêtes et plantes, qu’il intercède. Loin de considérer la terre comme un moyen de subsistance à exploiter, il y distingue la marque de Dieu, et c’est cette création « habitée par Dieu » qu’il révèle dans sa propre transfiguration. Les saints semblent parfois “utiliser” les animaux et les différentes créatures autour d’eux, comme saint Guérasime du Jourdin qui utilise le lion pour les besoins du monastère : il ne s’agit cependant pas d’exploitation, mais plutôt d’une coopération apaisée et confiante entre l’homme et la création de Dieu, dans la perspective du service de Dieu.
L’attitude des saints est un exemple de la relation que tout homme orthodoxe devrait avoir avec la création : un rapport d’amour, de respect pour l’œuvre de Dieu, à la fois « livre des merveilles de Dieu » et créature dont nous avons la responsabilité. Nous voyons ainsi que c’est par le retournement du cœur et la sanctification que l’homme moderne pourra proposer une approche chrétienne de la protection de l’environnement.
Xénia Cr.
Xénia Cr. est chercheuse dans le domaine environnemental, cheffe de chœur et catéchète. Elle est également membre fondatrice de l’équipe éditoriale des Chroniques du Sycomore.
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