Apprendre la prière à des enfants paraît être une gageure, car savoir une prière par coeur et la réciter, ce n’est pas encore prier. Ce qu’il faut, c’est que le catéchète arrive à mettre Dieu et l’enfant en phase, que l’enfant puisse sentir la présence de Dieu, l’identifier en lui-même.
La présence de l’Esprit Saint en nous est souvent révélée par la joie qui nous habite. Quand nous ressentons cette joie, c’est que Dieu est là, en nous ou parmi nous, mais l’enfant en général ne le sait pas d’emblée.
Il faut donc essayer de susciter de tels moments et montrer que Dieu est là. Cela paraît un peu présomptueux de dire : nous allons créer, nous allons faire ; car en fait nous savons que Dieu essaie par tous les moyens, Lui aussi, d’entrer en contact avec l’enfant et de se faire connaître de lui. Il ne faut donc pas avoir peur, Dieu est là, et c’est lui qui agit.
Les enfants, en général, sont confiants ; ils pensent que les adultes savent tout, qu’ils sont tout-puissants. Ils le pensent assez longtemps, mettons jusqu’à l’âge de 10 ans, c’est-à-dire pendant que nous les avons en catéchèse.
La tentation est grande de profiter de leur disposition pour imposer des attitudes, des conceptions personnelles. Mais quand l’enfant se rendra compte que le catéchète est un homme comme tous les autres, tout ce que l’on aura imposé va s’écrouler, et il n’est pas sûr qu’il saura trouver Dieu. Il faut toujours montrer aux enfants que l’adulte qui est avec lui est aussi un enfant de Dieu, qu’il a certes plus d’expérience, plus de vécu qu’il peut partager avec eux, mais que lui aussi cherche à s’ouvrir à Dieu, et que lorsque nous prions tous ensemble, nous nous tenons tous devant la face de Dieu, nous sommes tous égaux devant Dieu.
Apprendre à prier par ses propres mots
Dans l’Église orthodoxe, la prière liturgique est très riche, elle est le fondement de toute prière. C’est pourquoi, dans la tradition, les prières suggérées pour la prière personnelle sont extraites de la prière liturgique. On peut avoir l’impression qu’il n’y a pas de place pour des mots qui ne viennent pas des livres liturgiques. Il faut certes apprendre certaines prières aux enfants – disons les « prières initiales » – le Roi céleste, le « trisagion », le Notre Père… –, mais également leur apprendre à prier par leurs propres mots. Et leur prière avec leurs mots personnels, leurs intentions personnelles, peuvent faire partie de la prière communautaire. Tout le groupe va prier pour une personne nommée par un enfant, l’enfant peut donner la raison pour laquelle il veut que l’on prie pour elle ou ne pas la donner, mais tout le groupe va prier pour cette personne.
Cette appropriation de la prière va leur faire comprendre que la prière est un dialogue avec Dieu. Pour appuyer cette idée de dialogue, on peut leur parler d’Adam. Dans la Genèse, Dieu se promène le soir, et il cherche Adam et Ève. Il les cherche, eux se cachent, mais c’est Dieu qui engage le dialogue, il attend le repentir, il attend la réponse. Et Adam, c’est nous. Dieu attend donc notre réponse. Peut-être pouvons-nous ne pas faire comme Adam qui n’a pas répondu et a tout renvoyé sur Dieu ? Peut-être pouvons-nous répondre à Dieu et nous repentir quand nous avons failli, reprendre le dialogue ?
Prendre l’exemple sur Jésus lui-même, ainsi que sur les saints
On peut prendre également l’exemple de Jésus Lui-même. Il est Lui, Fils de Dieu, et donc en communion plénière avec son Père, et pourtant dans l’évangile, en plus des moments de prière communautaire, synagogale, on Le voit souvent prier seul, surtout la nuit, dans un endroit écarté, pour ne pas être dérangé, pour être dans le calme. Les circonstances de cette prière sont importantes et sont un exemple pour nous. On peut essayer de voir lors de quels événements Jésus prie, dans quels cas et comment. L’exemple le plus significatif est, bien sûr, la prière de Jésus à Gethsémani… On peut aussi leur parler de l’exemple de certains saints, saint Séraphin de Sarov et saint Silouane, qui sont modernes. Saint Séraphin a prié 40 jours et 40 nuits agenouillé sur une pierre… Saint Séraphin n’était pas en bons termes avec le supérieur de son monastère ni avec la communauté, et c’était une situation très difficile pour lui ; on imagine ainsi l’intensité de sa prière, qui lui faisait oublier de manger, de boire et de dormir. Mais après, la grâce venue de cette prière, de ce dialogue avec Dieu, est extraordinaire. Rappelons-nous, entre autres, comment saint Séraphin s’est transfiguré devant Motovilov, et toute la nature autour de lui également. Saint Silouane, lui, en est arrivé à prier pour le monde entier, les hommes, la nature et même pour Satan, par une véritable prière allant jusqu aux larmes. Ces exemples peuvent nous aider à montrer aux enfants à quel point la prière vivante est quelque chose d’important, d’efficace.
En fin de compte, on peut leur dire que Dieu est notre véritable Père, et peut-on ne pas dialoguer avec un père, sans dommage pour notre vie ?
La prière de louange
L’enfant va sentir le besoin de prier dans les moments difficiles, dans les moments où il est malheureux, mais je pense aussi qu’il faut lui apprendre à prier dans les moments de joie. C’est là que l’on va lui donner l’occasion de sentir la présence de Dieu, et cela on peut sans doute le « provoquer », même si ce mot peut sembler déplacé.
[…] Louer Dieu, ce n’est pas se prosterner devant un Roi sur un trône, qui a besoin de louanges… Non, la louange vient du sentiment des hommes, d’un sentiment de gratitude pour toute la création, pour tout ce que Dieu a fait pour nous. La louange vient de notre souhait de remercier Dieu, de notre envie de rendre grâce. Il est alors facile de montrer que la joie est là quand il y a aussi la beauté, l’amitié, l’amour. Dieu est là, avec nous.
Le langage de la prière
Je voudrais maintenant aborder les mots de la prière, le langage employé. […] Certains mots ne font pas partie du langage des enfants. Leur prière doit devenir personnelle. Par exemple dans le « Roi céleste ». Le premier adjectif de cette prière est « consolateur » : ce mot « consolateur », traduit mal, d’après les spécialistes, le mot employé en grec, le « Paraclet », qui apporte toutes sortes de nuances : avocat, défenseur, intercesseur… et on aura beau expliquer à l’enfant toutes ces significations, ce mot ne va pas raisonner dans son coeur comme peut raisonner le mot « consolateur ». L’enfant sait à quel point il aime être consolé par sa maman qui le prend dans ses bras lorsqu’il se fait mal…
« J’ai beau parler à Dieu, il ne me réponds pas… »
Si on arrive à faire sentir à l’enfant que la prière est vivante, que c’est une relation à Dieu, un dialogue, un autre écueil nous attend. « J’ai beau parler à Dieu, dit l’enfant, mais je n’entends pas de réponse. » Il est alors possible de faire remarquer à l’enfant que Dieu a beaucoup de moyens de lui répondre. La réponse vient, la plupart du temps, pour les enfants, de leurs parents : Dieu a confié aux parents cette tâche toute particulière d’aimer leurs enfants et de leur apprendre l’amour de Dieu. Les paroles des parents doivent être ainsi prises au sérieux, car parfois elles peuvent être une réponse de Dieu aux questionnements de leurs enfants.
Mais Dieu a beaucoup d’autres moyens de leur parler, à travers les livres, et, bien sûr, la Bible en tout premier lieu. Il faudra peut-être leur apprendre à décoder les paroles de la Bible…
La prière et la lecture communautaires peuvent être aussi d’un grand secours parce que Jésus nous a dit que « lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20), et Il nous envoie alors le Saint-Esprit, qui nous aide à comprendre les Écritures… […] L’enfant peut aussi parler à un prêtre, à un moniteur, ou à un aîné, plus expérimenté, avec qui il a le contact, en qui il a particulièrement confiance.
La prière en Église
J’ai parlé de la prière en commun, je voudrais maintenant évoquer la prière en Église. La prière en commun est un moment où nous nous réunissons pour prier Dieu, la prière en Église sera un moment où c’est Dieu qui nous appelle à nous réunir. Quand ? Le dimanche, pour célébrer la Résurrection, les jours où nous fêtons les événements de sa vie, et là, c’est autre chose qui se passe.
Quand nous nous réunissons en Église, nous actualisons la communion des saints, c’est-à-dire que toute l’Église est là, celle qui, dans le temps, est l’Église d’hier, d’avant-hier et celle qui sera demain et après-demain. Nous sommes à ce moment-là, appelés à l’Eucharistie, à la Table du Seigneur, et il n y a plus ni temps ni espace. […]
Pour faire participer l’enfant à ces célébrations, à ces événements, nous avons l’avantage d’avoir les icônes. On peut tout à fait, en observant les icônes, montrer aux enfants toutes les personnes présentes. […] Il y a aussi l’écoute des textes liturgiques des fêtes, les tropaires, les stichères, qui le plus souvent commencent par « Aujourd hui » ! Il y a mémorisation d’un fait historique et actualisation de ce fait, de ce mystère – auquel nous, Église, sommes appelés à participer ; auquel nous, Église, participons. C’est cela que toute notre vie nous sommes appelés à découvrir, à cela que nous sommes appelés à communier ; et donc, en tant que parents et catéchètes, c’est à cela que nous sommes appelés à introduire nos enfants.
Dans toute éducation, dans tout apprentissage, mais surtout dans ce domaine, l’important est d’être toujours sincère, toujours dire des vérités que l’on a éprouvées soi-même. Les enfants sentent très vite si vous essayez de leur transmettre un enseignement livresque – des idées, même intéressantes peut-être, mais quelque chose que vous n’avez pas vécu vous-même.
Olga Victoroff
Olga Victoroff est fille de prêtre, mère et grand-mère. Elle a une longue expérience de catéchète en paroisse et en camp de vacances.
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