Quel est actuellement le contenu du canon des matines ? On trouve tout d’abord le texte des 9 cantiques bibliques qui sont à la base des odes du canon des matines dans le Psautier liturgique1. Même si dans la pratique ces odes ne sont chantées que pendant le Carême, certains de leurs thèmes sont bien connus, car ils sont évoqués en particulier dans les hirmi, qui sont les amorces de chaque ode du canon. Ces hirmi étaient à l’origine les seules strophes poétiques qui étaient chantées à la fin de chaque cantique.
Les cantiques bibliques
- Première ode : Cantique de Moïse (Exode 15,1-19). Son thème est la joie et l’action de grâce du peuple Hébreux qui a traversé la mer Rouge, échappant ainsi aux chars de Pharaon. Le refrain indiqué en en-tête est : Chantons le Seigneur, car Il s’est couvert de gloire.
- Deuxième ode : Cantique de Moïse dans le Deutéronome (32, 1-43). C’est un cantique que Moïse prononce devant le peuple pour l’affermir dans sa foi. Il n’y a pas de refrain indiqué, mais le cantique commence par les mots : Ciel, sois attentif, et je parlerai. Cette ode a un statut particulier : elle n’est utilisée que le mardi dans les canons à trois odes des temps du Triode et du Pentecostaire (pour ces derniers, leur utilisation est actuellement intégrée aux complies). Elle se trouve également dans le canon des défunts les samedis, où il est prévu dans le Triode, et le samedi, veille de la Pentecôte. Sinon la deuxième ode est absente des canons.2
- Troisième ode : Prière d’Anne, mère du prophète Samuel (I Rois, pour la Septante, ou I Samuel, 2,1-10). C’est le chant d’Anne, femme d’Elcana, que Dieu a délivrée de sa stérilité. En action de grâce elle offre son fils, Samuel, à Dieu et loue les bienfaits de Celui-ci. Le refrain indiqué : Tu es saint, Seigneur, et mon esprit te loue est rarement évoqué. Par contre on retrouve souvent dans les tropaires la citation : il n’est de Saint que Toi, Seigneur, il n’est de juste que Toi, ô Dieu, tirée du 2e verset du cantique.
- Quatrième ode : Prière du prophète Habacuc (3, 1-19). C’est un chant sur la toute-puissance de Dieu et la confiance que le prophète met en Lui. Le refrain est : Gloire à ta puissance, Seigneur. Du même cantique nous retrouvons souvent l’expression : J’ai entendu ta voix et j’ai été saisi de crainte, tirée du 1er verset.
- Cinquième ode : Prière du prophète Isaïe (26,9-20). C’est un appel à l’aide au Dieu qui donne la paix. C’est aussi une prophétie : Les morts ressusciteront et ceux qui sont dans les tombeaux se relèveront, et tous les habitants de la terre seront dans la joie (verset 19). Ce passage a été repris textuellement dans l’hirmos de la 5e ode du canon du Grand Samedi. Son refrain est : Seigneur, notre Dieu, donne-nous la paix. Mais l’expression que nous trouvons le plus souvent citée dans les hirmi est : Avant l’aurore je veille et je t’invoque, car tes commandements sont lumière sur la terre.
- Sixième ode : Prière du prophète Jonas (2,3-10). C’est le cri de détresse, mais aussi d’espérance, de Jonas du fond du ventre de la baleine. Le refrain est : Du sein du monstre marin, Jonas criait ces paroles. Comme le prophète Jonas, sauve-nous, Seigneur. Mais ce qui est plus connu, c’est le parallèle qui est fait entre le séjour de Jonas dans le monstre et celui de trois jours du Christ dans le tombeau. Ce parallélisme nous le trouvons évoqué par Jésus lui-même (Mt 12,40) et aujourd’hui nous l’entendons comme un prélude à sa résurrection.
- Septième ode : Prière des trois saints adolescents (Daniel 3,26-56), alors qu’ils sont jetés dans les flammes de la fournaise. Son refrain est : Dieu de nos pères et notre Dieu, Tu es béni. Le texte de cette prière, ainsi que le cantique de l’ode suivante, font l’objet de la 15e lecture aux vêpres du Grand Samedi.
- Huitième ode : Hymne des trois adolescents (Daniel 3,57-88). Prière d’action de grâce et de louange des adolescents qui marchent au milieu des flammes sans être consumés. Le refrain est : Chantez le Seigneur, toutes ses œuvres, et exaltez-Le dans tous les siècles.
- Neuvième ode : cette fois, il s’agit de deux textes du Nouveau Testament. L’ode commence par le cantique d’action de grâce de la Mère de Dieu, lorsqu’elle vient au devant d’Élisabeth, le Magnificat (Mon âme magnifie le Seigneur… ; Luc 1, 46-55)3. Le refrain est : Magnifions dans nos chants la Mère de Dieu. Ensuite, la prière de Zacharie, qui annonce le salut des hommes et le rôle éminent de son fils, le Précurseur Jean-Baptiste (Luc 1, 68-79). De tous ces cantiques, le seul qui ait subsisté dans la pratique liturgique courante tout au long de l’année est le Magnificat. Dans l’office, il est introduit par la proclamation diaconale : Magnifions dans nos chants la Mère de Dieu, Mère de la Lumière qui est une extension du refrain.
Il faut préciser que ces textes sont pris dans la Bible des Septante qui comporte un certain nombre de variantes par rapport au texte massorétique (hébreu). En particulier, on peut remarquer que la prière et l’hymne des adolescents (Daniel 3, 26-56 et 3, 57-88) ne figurent pas dans les Bibles courantes en français.4
Il est important d’avoir ces références, dans la mesure où il y est fait allusion dans les odes du canon actuel. Mais il est évident qu’aujourd’hui ce canon est avant tout une succession de strophes poétiques et n’a gardé pour l’essentiel que la structure en neuf odes (moins une, la seconde, comme nous l’avons vu). Ce n’est qu’en Carême que l’on commence chaque ode par le chant (ou la lecture) du cantique biblique, en intercalant entre les derniers versets de celui-ci l’hirmos et les tropaires du canon.
Le contenu des odes
Formellement chaque ode débute par un hirmos, qui sert de modèle à la forme poétique et à la mélodie des tropaires qui vont suivre.5 Celui-ci fait plus ou moins explicitement référence au thème de l’ode. Selon le jour, la fête, le saint vénéré, il y aura un, deux, et jusqu’à quatre canons qui vont se succéder pour chaque ode. Ainsi un dimanche ordinaire il y a trois canons du ton du jour de l’Octoèque (canon de la Résurrection, canon de la Croix et Résurrection et canon de la Mère de Dieu) et un canon du saint du jour. Le tout est complété par une katavassia, terme qui rappelle la pratique du rassemblement des deux chœurs qui descendent de l’ambon pour se réunir au milieu de l’église pour ce chant conclusif de l’ode. Mais ce n’est que le dimanche et les jours de grande fête que la katavassia est chantée à chaque ode. Ordinairement on ne la chante qu’à la fin des 3e, 6e, 8e et 9e odes. Pour en revenir au dimanche, nous aurons donc la succession suivante :
- Premier canon, chant de l’hirmos.
Verset : Gloire, Seigneur, à ta sainte résurrection qui précède les tropaires du canon de la Résurrection.
- Deuxième canon, verset : Gloire, Seigneur, à ta croix vénérable et ta résurrection qui précède les tropaires du canon de la Croix et Résurrection.
- Troisième canon, verset : Très sainte Mère de Dieu, sauve-nous, qui précède les tropaires du canon de la Mère de Dieu, pris dans l’Octoèque (ce même verset est utilisé avant les théotokia des deux canons précédents).
- Quatrième canon, du saint du jour (pris dans la Ménée6), verset variable : Saint évêque N., prie Dieu pour nous ou Saint père théophore, N., prie Dieu pour nous ou Sainte martyre N., prie Dieu pour nous …
- Lorsqu’on parvient à l’avant-dernier tropaire le verset utilisé est : Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit.7
- Avant le dernier tropaire le verset est : Et maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.
- Puis on chante la katavassia.
N.B. On ne chante que l’hirmos du premier canon, puis on enchaîne les tropaires des canons à la suite. Les hirmi des canons suivants ne sont donnés qu’à titre indicatif puisqu’ils commandent la structure poétique des tropaires qui suivent, en indiquant les variantes rythmiques et mélodiques d’après lesquelles les tropaires étaient composés et chantés.8
Mais quel que soit le nombre de canons prescrits, on ne lit (ou ne chante) aux matines que 14 strophes au maximum pour chaque ode.9 Si le jour d’une fête majeure le canon ne comporte que trois ou quatre tropaires, on répète le chant de ces tropaires le nombre de fois qu’il faut. Nous en avons un exemple à la 9e ode de Pâques (voir l’Office de Pâques édité par la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale)10.
Pour les grandes fêtes du Seigneur, le verset qui précède les tropaires est : Gloire à Toi, notre Dieu, gloire à Toi. Pour une fête de la Mère de Dieu : Très sainte Mère de Dieu sauve-nous. Pour un canon pénitentiel : Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi. S’il y a un tropaire à la Trinité, on dit : Très sainte Trinité, notre Dieu, gloire à Toi ; mais généralement les tropaires trinitaires sont les avant-derniers de l’ode et alors on dira : Gloire…
Après la 3e ode, on dit une petite litanie. Puis on chante un ou plusieurs tropaire(s)-cathisme(s) et, parfois, lors de certaines fêtes, un hypakoï ou un kondakion (ce dernier, dans le cas où plusieurs événements importants sont commémorés). Ces strophes étaient normalement suivies d’une lecture patristique.
Après la 6e ode, on dit une petite litanie. Puis on chante le kondakion du jour et son ikos. On lit ensuite le synaxaire, qui est l’explication de la fête ou le récit de la vie du saint du jour.
À la fin de la 8e ode, on remplace Gloire… par le verset : Bénissons le Seigneur, Père, Fils et Saint-Esprit, suivi de : Maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen. Et, avant de chanter la katavassia, on chante le verset : Louons, bénissons, adorons le Seigneur, le chantant et l’exaltant dans tous les siècles. Ce verset est le dernier du cantique des adolescents, il est resté comme une trace archéologique de l’époque où l’on chantait le cantique en entier.
Enfin, la 9e ode débute par le chant du Magnificat qui est, comme nous l’avons vu, le seul cantique resté en usage aujourd’hui. Chaque verset du Magnificat est suivi d’une strophe : Toi, plus vénérable que les chérubins… Cette strophe est l’hirmos de la 9e ode du canon du Vendredi Saint, composé par saint Côme de Maïouma (8e siècle) et inspirée d’une hymne de saint Éphrem le Syrien. Il y a toutes les raisons de penser qu’à l’occasion de ce chant, se déroulait un déplacement. Aujourd’hui encore, pendant le chant du Magnificat, a lieu un encensement. Il est possible qu’à une certaine époque cet encensement était plus solennel, comme l’est aujourd’hui celui qui a lieu au polyeleos pendant le chant des Eulogétaires, ce qui nécessitait un chant prolongé.11
Ce n’est qu’à de rares exceptions, pendant la Grande Semaine, à Pâques, pendant toute la Semaine radieuse et lors des fêtes majeures, que le Magnificat est omis au profit de l’hirmos de la 9e ode, précédé alors généralement d’un verset que l’on appelle mégalynaire ce qui signifie : « qui magnifie » (il peut même y en avoir plusieurs, comme c’est le cas à Pâques). Ce verset mégalynaire est placé en tête des tropaires de la 9e ode à la place du verset utilisé pour les autres odes12. Il est une brève louange de la Mère de Dieu ou de la fête.
Le canon se termine par une dernière katavassia, à la fin de laquelle on fait une petite métanie ou une prosternation. En semaine, en dehors des périodes de fête, d’avant et d’après-fête, la katavassia est suivie de l’hymne à la Mère de Dieu : Il est digne en vérité…, et c’est alors qu’a lieu une prosternation. Il n’est pas impossible que le lien entre cette hymne et l’hirmos de la 9e ode, qui est généralement marial, ait induit la pratique de le remplacer à la Liturgie eucharistique par le chant de la 9e ode, précédée de son verset mégalynaire, lors des fêtes majeures.13
Après une petite litanie, il y a encore une strophe qui se rattache au canon, c’est l’exapostilaire (ou envoi). C’est ainsi que se clôt le cycle entier du canon des matines. Le dimanche, il y a en fait deux exapostilaires, le premier, tiré du psaume 98, est fixe : Saint est le Seigneur notre Dieu. Le second est mobile et se rapporte au texte de l’Évangile de la Résurrection lu lors du polyeleos. Les péricopes du récit de la Résurrection étant au nombre de 11, il y a 11 exapostilaires. Attribués à l’empereur Constantin VII Porphyrogénète (913-959), ils sont un condensé du texte évangélique et chacun de ces exapostilaires est suivi d’un théotokion. Quant aux fêtes et aux jours ordinaires, ils ont leur exapostilaire propre.
Élie Korotkoff
Élie Korotkoff, laïc orthodoxe, spécialiste des questions liturgiques, est responsable de la Commission des traductions liturgiques de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale.
- Recueil des huit tons qui se succèdent de semaine en semaine ↩︎
- Une édition en 5 volumes existe aux Éditions du Cerf dans la collection Sources chrétiennes. ↩︎
- À noter que dans cet office l’hymne acathiste est imbriquée avec un canon des matines classique. ↩︎
- Liturgie comparée, p. 40. ↩︎
- Strophes poétiques qui vont s’intercaler entre les versets du cantique. ↩︎
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