C’est toujours Pâques, quelles que soient les circonstances de notre vie ou de l’histoire. Dieu est venu parmi nous, il a assumé nos joies et nos désespoirs pour que nos joies n’aboutissent pas à l’illusion mais au Royaume, pour que nos désespoirs n’aboutissent pas au néant mais au Royaume. Et le Royaume, c’est la Vie, la lumière de la Vie, comme dit saint Jean. On peut célébrer Pâques dans la joie en distribuant aux enfants des œufs ou des poissons en chocolat, on peut célébrer Pâques dans le désespoir, dans la torture ou sous les bombes, parce que la racine du mal – la mort – a été arrachée par la résurrection ; ainsi la mort biologique et toutes les morts partielles qui la précèdent et l’anticipent ne sont plus désormais que des passages vers la résurrection, car la mort spirituelle qui les englobe et qu’elles symbolisent est désormais abolie.
Tout désormais a un sens, un sens éternel. La Vie, l’Esprit, jaillissent désormais à travers même nos répulsions et nos angoisses. Plus profond que notre révolte, notre dégoût ou notre désespoir, il n’y a plus le néant, mais le Crucifié-Glorifié. Dieu n’est pas puissant au sens des forces cosmiques et sociales, tyrans et ouragans, il agit comme un rayonnement, un influx de vie, de courage, de confiance, de liberté. Il se laisse crucifier sur tout le mal du monde, le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde, a dit Pascal, et Maxime le Confesseur : Dieu s’est fait mendiant à cause de sa sollicitude envers nous, souffrant mystiquement par sa tendresse jusqu’à la fin des temps, à la mesure de la souffrance de chacun. Mais ce Crucifié est désormais un Ressuscité, il se communique à nous à travers même ce qui le nie.
Depuis Pâques, et c’est toujours Pâques, le sens, la vie nous viennent aussi par la mort et par toutes les situations de mort de notre existence et de l’histoire si, par une humble confiance, une confiance dans la nuit, nous les identifions aux plaies vivantes du Christ.
Malraux, peu avant sa mort, disait : J’attends le prophète qui osera crier au monde : il n’y a pas de néant ! Chacun de nous est appelé à devenir, parfois, un peu, un instant, ce prophète. Car la résurrection est devenue un secret que bien peu ont le courage de communiquer, tant le spectacle de la douleur nous accable.
Comment communiquer la résurrection – sinon en entrant dans cette immense compassion, dans cet amour sans limite qui seul explique l’Incarnation, la Passion, la Croix comme victoire ultime sur la mort. Seuls des hommes de compassion, d’amour actif en même temps que de prière, de gratitude, de célébration, peuvent laisser entendre qu’au fond des choses il n’y a pas l’absurdité, mais le sens. Il n’y a pas le néant, mais l’amour plus fort que la mort.
Olivier Clément
Olivier Clément, né dans les Cévennes en 1921, a été professeur au lycée Louis-le-Grand à Paris et à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge. Homme de dialogue, d’ouverture et de tolérance, porte-parole d’une orthodoxie ouverte au monde et au dialogue œcuménique, il est décédé en 2009. A la fois théologien, poète et historien, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages et de très nombreux articles.
Source : Texte initialement publié par le SOP en mai 2004
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