Nous débutons avec cet article une nouvelle série de publications consacrées au Symbole de foi. Un nouveau texte vous sera proposé chaque mois, vous proposant des commentaires sur les affirmations du Symbole de foi.
Aujourd’hui, nous vous proposons un premier article avec trois commentaires présentant le Credo en trois parties. Le premier a été rédigé par Vladimir Lossky peu avant sa mort en 1958, complété par l’archimandrite Pierre L’Huillier et publié dans la revue Contacts, N° 38-39 en 1962. La seconde partie a été écrite par la père André Borelly, et publiée dans des livrets catéchétiques destinés à ses paroissiens de Marseille. La troisième a été préparée par le père André Jacquemot, prêtre de la paroisse de Metz, à partir de l’ouvrage publié en 1987 par l’équipe de l’ouvrage Catéchèse orthodoxe, pilotée par le père Cyrille Argenti et des prédications du père Alexandre Schmemann.
Le Credo ou Symbole de la foi est une confession solennelle des dogmes chrétiens, lue ou chantée pendant la Liturgie, avant le commencement du mystère eucharistique. Le premier mot de ce texte sacré en latin – Credo, « je crois » – se rapporte aux articles qui suivent et donnent à cette expression de la foi commune du peuple chrétien la valeur d’un engagement personnel de chaque membre de l’Église qui dit, avec tous les autres : je crois et plus loin je confesse, j’attends ou j’espère.
Mais est-il suffisant de confesser avec les lèvres, même quand on le fait en toute piété de cœur, si la pensée n’adhère pas au sens de ces parles qui ont été trouvées par les Pères de l’Église pour mettre la vérité révélée à la portée de chaque intelligence illuminée par la foi en Christ ?
Un grand théologien orthodoxe du siècle dernier, le métropolite Philarète de Moscou, distinguait entre la foi – Vérité révélée, et la foi – adhésion consciente à la Révélation. Une fidélité aveugle à l’autorité de la foi n’est pas suffisante pour « avoir la foi » : Tant que votre foi réside dans la Sainte Écriture et dans le Symbole, elle appartient à Dieu, à ses Prophètes, à ses Apôtres, aux Pères de l’Église ; elle n’est pas encore votre foi. Mais quand vous l’avez dans vos pensées, dans votre mémoire, vous commencez à acquérir la foi…
Il faut donc étudier les douze articles du Symbole de la foi, afin que ces paroles que nous entendons à chaque Liturgie éveillent notre pensée et nous rendent ainsi des membres conscients de 1’Église du Christ.
Avant de commencer l’examen des dogmes chrétiens que le Credo exprime succinctement, disons quelques mots sur l’histoire de cette règle de la foi qui a reçu une autorité universelle dans l’Église.
Avant le début du IVe siècle, les symboles ou formulations brèves de la foi chrétienne étaient liés surtout au baptême et à la préparation catéchétique. Ils étaient donc assez nombreux et variaient selon les pratiques locales des Églises. Ces formules de confession que les nouveaux baptisés devaient prononcer le jour de leur baptême, s’appelaient au IIe siècle la règle ou le canon de la foi.
Un nouveau type de Credo, répondant à la nécessité de définir l’enseignement orthodoxe en l’opposant aux doctrines hérétiques, apparaît au IVe siècle : ce sont les symboles conciliaires, qui ne sont pas rattachés uniquement à la pratique baptismale, mais reçoivent une place plus large dans la vie de l’Église.
Le premier Credo promulgué par un concile général fut celui de Nicée (325). C’était un Credo local (baptismal), probablement de l’Église de Jérusalem, remanié par une commission de théologiens qui a dû l’amplifier pour rendre plus explicite la confession de la divinité du Christ, contre l’arianisme. Ce Credo avait encore l’autorité universelle d’une confession dogmatique aux Conciles de Constantinople (381), d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451).
Le Credo que nous utilisons aujourd’hui sous le nom de Symbole de Nicée-Constantinople n’a qu’une ressemblance générale avec le premier Credo de Nicée. Notre Credo était, originairement, l’une des expressions de la foi de Nicée, avec une confession de la divinité du Christ très développée, née dans la famille des symboles baptismaux d’Antioche-Jérusalem après 370. Ce Credo de type liturgique a été probablement retouché à Constantinople par les Pères du IIe Concile œcuménique pour usage baptismal, sans intention de la substituer au symbole de Nicée. On le lit avec celui-ci au IVe Concile (Chalcédoine) comme une formule dogmatique officiellement reconnue et il se trouve introduit en cette qualité dans la pratique liturgique de la capitale de l’Empire. Vers la fin du Ve siècle, ce Credo liturgique de Constantinople sera considéré comme la formule complète et définitive du Credo de Nicée, qu’il remplacera. Il sera reçu partout comme la règle de foi parfaite et il supplantera les autres symboles, baptismaux ou conciliaires, de la foi chrétienne. Le VIe Concile œcuménique (680) confirmera d’autorité du Credo dit de Nicée-Constantinople.
Vladimir Lossky et père Pierre l’Huillier
Le symbole dit de Nicée-Constantinople est, en réalité, une version élargie du symbole baptismal de la foi de l’église de Jérusalem. Composé sous cette forme peu après le concile d’Alexandrie (362), il fut prononcé devant le concile de 381 par Nectaire élu par ledit concile à la place de Grégoire de Nazianze qui venait de démissionner. Nectaire était un vieillard vénérable, qui appartenait à l’ordre sénatorial et était alors investi de la dignité de préteur. Mais on s’aperçut que Nectaire n’était pas baptisé ! C’est avant son baptême et la consécration épiscopale qui s’ensuivit que Nectaire prononça cette profession de foi. Le texte servit ensuite à la liturgie du baptême à Constantinople et devint ainsi le symbole de la foi de l’Église de Constantinople. Proclamation de la foi de l’Église en la divine Trinité, de la foi des chrétiens en l’Église comme icône de cette même Trinité, le symbole est traditionnellement récité ou chanté au moment où l’Église existe en ce qu’elle a de plus fondamental, de plus essentiel : lorsqu’elle célèbre la divine liturgie. Dans la liturgie byzantine, on récite ou chante exclusivement le symbole dit de Nicée-Constantinople — celui que nous allons commenter –, immédiatement avant de prononcer l’anaphore eucharistique. Dans la messe romaine, le Credo est récité après la lecture de l’Évangile. Avant le concile du Vatican II, il était réservé aux dimanches, aux fêtes du Christ, de la Mère de Dieu, des Anges, des Apôtres et des Docteurs. Aux autres messes, on récitait le symbole des Apôtres, qui date très certainement de la période antérieure à la lutte de l’église contre les hérésies, et notamment contre l’hérésie arienne, C’est pourquoi il est beaucoup moins développé, sans aucune influence de la philosophie ou de la théologie.
Je crois en…
En français, il y a une différence considérable entre croire que et croire en… Quand je dis : je crois que demain il fera beau, cela signifie que je n’en suis pas sûr. Si je crois que… je ne sais pas. La croyance s’oppose à la science. Que penserions-nous de notre médecin s’il nous disait : Je crois que vous devez prendre un comprimé de tel médicament à chacun des trois repas ? Du médecin nous attendons qu’il sache, nous n’admettons pas qu’il puisse se contenter de croire que… Je crois que… exprime une opinion, et désigne un assentiment imparfait, qui, comme l’opinion, comporte tous les degrés de probabilité. Au contraire, croire en consiste à faire crédit, à se fier à une personne, à lui faire confiance. Croire que est à croire en ce que la croyance est à la foi. Et à la différence de la croyance, la foi ne s’oppose pas à la science. Je crois en mon médecin, j’ai confiance en lui parce qu’il sait et ne se contente pas de croire que… Plus il possède de science, plus j’ai foi en lui. La foi et la science ne s’excluent pas mutuellement parce que toutes deux sont, comme dirait Pascal, d’un autre ordre. Nos médecins savent de mieux en mieux pourquoi telle personne meurt, si par pourquoi on entend les causes efficientes qui ont entraîné le décès. Mais il est un autre pourquoi que seule la foi en la résurrection du Christ peut prononcer et que le médecin, en tant que tel, ignore. (…) Dieu seul mérite vraiment qu’on ait foi en lui, bien que nous devions constamment faire crédit à notre prochain. Qu’est-ce donc que des fiancés sinon un homme et une femme qui décident de croire lui en elle et elle en lui ? Et qu’est-ce qu’un divorce si ce n’est le cuisant échec de cet acte de foi ?
A cet égard, il faut relire avec attention le récit, dans le livre de la Genèse, de ce qu’on appelle le sacrifice d’Abraham (Gn 22 1-19), la suite de saint Paul dans son épître aux Romains (chapitre 4), on insiste (à juste titre) sur la foi d’Abraham en Iahvé : Abraham eut foi en Dieu, et ce lui fui compté comme justice (Ro 4-3 et Gn 15-6). Mais il faut souligner aussi la foi d’Isaac en son père Abraham. L’adolescent demande à son père où se trouve la victime animale pour l’holocauste. Abraham pose un acte de foi en Dieu lorsqu’il répond à Isaac : » Dieu se pourvoira lui-même du mouton pour l’holocauste, mon fils (Gn 22-8). Mais en se contentant de cette réponse, Isaac témoigne de sa foi en son père. Et lorsque Jésus nous demande de prier son Père en le considérant aussi comme le nôtre (Notre Père, qui est dans les cieux…) il fait appel à l’expérience humaine de la foi en nos parents. Il s’agit de se comporter envers Dieu comme on s’est comporté, dès la primitive enfance avec son père et sa mère : il s’agit de se laisser couler à pic, de sauter dans le vide avec la conviction que le parachute s’ouvrira (encore un bel exemple de la foi de l’homme en l’homme), expérience que font tous les parachutistes ! La science est intellectuelle. La croyance est également intellectuelle, mais c’est de la mauvaise, de la fausse science. La foi, elle, est existentielle. Elle n’est pas essentiellement affective, sentimentale, même si l’affectivité est appelée à constituer un ingrédient de la foi : il est raisonnable d’avoir confiance en tel ou tel excellent médecin. Et il est raisonnable de croire en Dieu créateur : si, vous promenant dans une forêt, vous trouvez dans un sentier des pierres disposées de telle manière qu’elles reproduisent le portrait de Napoléon, vous ne direz pas que c’est le hasard, mais que quelqu’un est passé par là avant vous. De même, il est raisonnable de croire en Dieu créateur de l’ordre que la science découvre dans le monde, notamment en biologie, de façon de plus en plus rigoureuse.
Père André Borrely
Le Paterikon égyptien nous conte l’histoire du saint abba Agathon qui a vécu au IVe siècle. Un jour quelques moines vinrent le trouver, ayant entendu parler de son grand discernement. Voulant voir s’il perdrait son calme, ils l’apostrophèrent ainsi : « N’es-tu pas cet Agathon qu’on dit n’être qu’un fornicateur et un orgueilleux ? » « Hélas oui, c’est bien vrai », répondit-il. Ils reprirent : « N’es-tu pas cet Agathon qui n’arrête pas de dire des bêtises ? » « Oui, c’est moi ». Alors ils insistèrent : « N’es-tu pas Agathon l’hérétique ? » Mais à ça il répondit : « Je ne suis pas un hérétique ». Alors ils lui demandèrent : « Dis-nous pourquoi tu as accepté toutes nos invectives, mais que tu as rejeté cette dernière insulte ». Il répondit : « Les premières accusations, je les ai prises pour moi, car c’est bon pour mon âme. Mais l’hérésie, c’est être séparé de Dieu. Je n’ai aucune envie d’être séparé de Dieu ». Cette parole les surprit, ils comprirent son discernement, et ils s’en retournèrent édifiés.
Cet apophtegme nous montre l’importance d’une confession juste de la foi pour notre salut. C’est pourquoi les saints pères ont lutté vigoureusement contre les hérésies et, au prix d’un grand labeur, ont posé les bornes de la foi orthodoxe, la foi qui sauve.
En fait, nous devons marcher sur deux jambes : les œuvres justes (pour le corps) et la vérité de la foi (pour l’âme). Comme le dit saint Irénée (IIe siècle) : « Puisque l’homme est composé d’une âme et d’un corps, c’est par ces deux éléments (qu’il est conduit à la vie éternelle). Et, parce que des deux découlent des chutes, il y a et une pureté du corps, continence qui s’abstient de toutes choses honteuses et de tous actes injustes, et une pureté de l’âme, qui consiste à garder intacte la foi en Dieu sans y ajouter ni y retrancher. Car la piété se ternit et se flétrit en se contaminant par l’impureté du corps, et elle se brise et se souille et n’est plus intacte quand l’erreur entre dans l’âme. Car que sert de connaître le vrai en paroles tout en souillant son corps et en accomplissant les œuvres du mal ? Ou quelle utilité peut donc présenter la pureté du corps, quand la vérité n’est pas dans l’âme ? ».
Dès le IIe siècle de notre ère, il a existé d’assez nombreux Symboles ou formulations brèves de la foi chrétienne, liés surtout à la préparation des catéchumènes, et que les nouveaux baptisés devaient prononcer le jour de leur baptême. Dans l’Antiquité, on baptisait surtout des adultes.
Ces symboles pouvaient varier légèrement d’une église locale à l’autre, mais leur contenu était très proche. Ils étaient généralement formulés à peu près comme ceci : « Je crois en un seul Dieu, Père tout puissant, qui a fait le ciel et la terre… Et en Jésus-Christ, le Fils de Dieu qui s’est incarné pour notre salut… Et en l’Esprit-Saint… ». La base était toujours trinitaire, conformément au commandement du Seigneur : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matth. 29,19).
Le symbole « de Nicée-Constantinople », que nous récitons dans l’Église orthodoxe aux baptêmes et à toutes les Liturgies (et dans les prières de chaque jour), a été élaboré au 1er Concile œcuménique (Nicée, 325), et complété au 2e Concile œcuménique (Constantinople, 381), pour répondre à la nécessité de définir l’enseignement orthodoxe face àcertaines doctrines hérétiques (qui niaient la divinité du Christ ou du Saint-Esprit). Saint Athanase d’Alexandrie, saint Basile le Grand et saint Grégoire le Théologien, au cours d’un IVe siècle particulièrement troublé, ont particulièrement contribué à la formulation orthodoxe de ce symbole de foi. Il a été confirmé lors des Conciles ultérieurs. Il est devenu commun à toute l’Église et déclaré intangible au Concile de Chalcédoine (451).
Le mot symbole signifie ce qui tient ensemble, réunit, contient. Le symbole de la foi contient toutes les vérités que l’Église croit indispensables à l’homme pour son salut et la plénitude de la vie. On l’appelle aussi Crédo, car il commence par les mots : « Je crois ».
Tous les éléments de ce symbole sont tirés de la Bible. Ils forment comme un résumé de la Bible et comme des points de repère pour comprendre la Bible. C’est un résumé en peu de mots, mais chaque mot est comme une porte qui ouvre sur le mystère.
Père André Jacquemot
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