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Création vs évolution, science vs religion : quel rapport ? (1)

Photo: Xénia Cr.

Cet article repose sur des réflexions développées par l’auteure lors de ses cours de religion chrétienne orthodoxe en Belgique.

Mes élèves posent souvent les questions suivantes: « Pourquoi la Bible raconte-t-elle que Dieu a créé l’homme, mais la science dit qu’il vient du singe ? » ou plus candidement « faut-il croire en Dieu ou en la science ? » Parfois, ils ont déjà une réponse toute faite, basée non sur des connaissances mais sur des a priori. Comment traiter de ces questions, avec des jeunes qui, souvent, n’ont pas beaucoup d’outils scientifiques ou philosophiques de vocabulaire adapté à leur disposition ?

Ce sujet est souvent traité de façon polémique par les médias. Il s’agit des relations entre science et religion, plus spécifiquement en ce qui concerne le récit de la création dans le texte biblique de la Genèse d’un côté, et les découvertes et théories scientifiques sur l’apparition de l’univers et l’évolution de la vie d’un autre côté. C’est surtout la création vs. l’évolution de l’homme, vues comme modèles incompatibles, qui sont le plus souvent au centre des débats.

La clé du sujet: L’interprétation des Écritures

En parcourant les récits bibliques (Genèse 1-2, psaume 103) avec les élèves, on pourrait commencer à expliquer que ces textes ne sont pas de facture « scientifique », mais « mythique », c’est à dire des paraboles qui transmettent un sens plus profond – ou plutôt, une multitude de sens – dans un langage poétique et symbolique.

Le mot « mythique » pourrait poser problème s’il n’est pas expliqué plus précisément, car dans la vie quotidienne on emploie souvent « mythe » dans le sens de « histoire inventée, théorie fausse». Insistons donc sur le fait que « poétique et symbolique » ne veut pas dire, du point de vue chrétien, « relevant de la pure fiction / de l’imaginaire», mais un sens qui va au-delà du monde matériel et de la simple description et qui ne s’arrête donc pas au « comment » mais s’approche du « pourquoi ». Il s’agit d’une recherche du sens et non pas d’une description matérielle, photographique des faits. La science, elle, s’intéresse à la description minutieuse d’un processus sur le plan strictement matériel et historique et à la recherche des explications de ses causes sur le même plan. Les textes des Écritures ne s’arrêtent pas aux détails, mais vont à ce qui est perçu comme l’essentiel.

Pour mieux expliquer cette différence d’approche, on pourrait employer l’image suivante : quand on décrit un tableau en tant qu’œuvre d’art, on décrit avec un langage artistique le contenu de l’œuvre, sa portée et son éventuel message et on discute du style et des particularités de l’art du peintre. Un historien et un restaurateur, par contre, pourraient bien sûr accorder de l’importance à des détails comme la substance chimique de la peinture et de la toile, ou à la matière du cadre.

Lecture littérale vs. lecture anagogique (spirituelle)

Sensibiliser les élèves à une lecture biblique qui prend appui sur le texte, mais dépasse le pied de la lettre, est essentiel pour ne pas tomber dans les pièges d’un certain créationnisme bien présent dans les courants évangéliques littéralistes, qui encouragent une lecture littérale et naïve de ces textes. Ce type de lecture a fait également son chemin dans l’Église orthodoxe, par les écrits de Séraphim Rose, par exemple.

En analysant le premier récit de la création (Gen 1-2,3) de plus près, on peut faire remarquer que la lumière est créée au « 1er jour », et le soleil et les étoiles, au « 4ème jour », et ça après la création des plantes (au « 3ème jour »). Cela montre que le message du récit va au-delà d’une description physique. On peut faire remarquer qu’une des explications possibles à cet ordre est l’intention de montrer que les astres, considérés comme des dieux par les religions polythéistes à l’époque où le texte biblique a été écrit, sont ici mis à leur place d’œuvres créées d’importance moindre que la terre. C’est la terre – habitat des êtres vivants et surtout l’être humain -, qui est le sujet principal de ces textes, et non l’univers tout entier. Un des messages théologiques de ce récit est donc d’affirmer le caractère créé du monde céleste. Ensuite, le texte insiste sur la création par la parole (« Dieu dit ») sortie de la volonté libre de Dieu, et non d’une sorte de formation ou diffusion spontanée, comme dans certaines philosophies orientales qui avaient fait leur chemin dans le monde antique proche de la Bible.

On attirera l’attention sur le fait que les « 7 jours » ne devraient pas être compris comme des « jours de 24 heures » mais comme des étapes – temporelles (des longues périodes) ou bien, plus probablement, causales. Le concept d’« étape causale » (v. V. Lossky, Dogmatique orthodoxe, qui synthétise certaines interprétations patristiques) n’est pas facile à expliquer. On pourrait faire remarquer aux élèves que la création pourrait être vue comme un processus permanent, et que les 7 jours se référent peut-être à l’ensemble du temps. L’idée que Dieu est au-delà du temps qu’il a créé n’est pas si difficile à concevoir de nos jours, où notre imagination a été nourrie des histoires de voyage dans le temps et de réalités parallèles.

Pour faire comprendre encore mieux le caractère meta-chronologique de ces récits et montrer plus clairement leur contenu théologique, nous pourrions faire une lecture comparée des deux récits de la création (Genèse 1-2,3 et 2,3-25). Dans le premier texte, on nous présente la création de l’homme (Gen 1,26-27) comme l’aboutissement de la création de tout le vivant. Dans le deuxième par contre, l’homme est mis au centre et la création du reste du vivant dépend de lui. Au delà des considérations historico-critiques (la date différente de la rédaction) qui peut mais ne doit pas être évoquée en classe, la présence de ces deux récits l’un à côté de l’autre montre encore une fois que la révélation biblique ne s’occupe pas de la chronologie de la création du monde ou une description détaillée de cette création. Ce n’est que si on arrête de lire ces récits au pied de la lettre qu’il devient évident que, comme dans le cas des évangiles, les deux récits se complètent, au lieu de se contredire.

Cette lecture comparée des textes de la Genèse 1-2 mène à une interprétation théologique : le but de l’existence de l’homme est d’aller vers la ressemblance avec Dieu, en ramenant toutes choses à Lui.
C’est le Fils qui porte le nom de Parole (Jean 1,1) et de Vérité (Jean 14,6) et c’est Lui, par l’Esprit et dans la volonté du Père, qui nous parle à travers le langage humain, par des symboles et des histoires, réalités que nous sommes sans cesse appelés à approfondir. Il serait bon de faire passer ce message lors de chaque lecture biblique faite en classe. Il serait aussi possible de prendre appui sur le cours de français où les élèves apprennent à interpréter des textes et à déchiffrer des sens cachés par des images riches et complexes.

Alexandra de Moffarts

Docteur en linguistique, Alexandra de Moffarts est enseignante de religion dans les écoles, en Belgique, ainsi qu’à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Jean (Bruxelles).

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