Press "Enter" to skip to content

De la grâce d’être parent

Maternité, par le peintre Marie Nicolas (1845-1903), peinture à huile.

5h29 sur le téléphone. Bébé se réveille. Papa tente de lui expliquer qu’il est tôt, qu’il est encore l’heure de dormir, mais la victoire est indubitable : Bébé rejoint le lit parental, dans le vague espoir jamais réalisé qu’il se rendorme après la tétée. 6h10 – nous sommes debout. Douche, petit-déjeuner pour Bébé et ses parents, lesquels, café à la main, finissent par émerger.

7h30 – c’est le départ, la journée de travail/crèche commence. Après une journée de travail souvent chargée, déconnexion entre 17h et 17h30 pour récupérer Bébé. Puis commence le tunnel du soir qui se fait finalement assez bien puisque Bébé n’a pas encore de frères et sœurs avec qui partager les bêtises et l’attention des parents, et qu’il est encore trop petit pour avoir des devoirs à faire qu’il ne veut pas faire. 20h10 – coucher, 20h50 il s’est enfin endormi, 21h nous pouvons enfin dîner, 21h30 – je suis crevée, je vais me coucher.

Je partage ce quotidien avec tous les parents. Pour certains c’est plus facile, pour d’autres c’est plus difficile. Les enfants sont plus ou moins grands, coopératifs ou difficiles. Et les parents sont plus ou moins disponibles, plus ou moins fatigués, plus ou moins seuls dans ce quotidien.

J’avais cru y être préparée – ainée d’une famille nombreuse, observant et secondant ma mère. Je savais qu’avoir des enfants, cela signifiait beaucoup d’efforts, de sacrifices, d’abnégation, d’amour. Mais c’étaient des valeurs qui, dans ma perspective chrétienne, étaient positives.

Dans la réalité, si de nombreux sacrifices sont faits relativement facilement – partir plus tôt du travail, voire y renoncer, ne plus avoir de temps pour soi et ses loisirs, chanter pour la 14e fois « bateau sur l’eau », ne jamais réussir à lire une histoire pour enfants dans le bon ordre logique des pages –, il est des sacrifices que l’on aurait aimé ne pas avoir à faire. Des sacrifices si pesants que le rapport à son enfant, son couple, soi-même, la vie, s’en retrouve complètement retourné.

Pour moi, cela a été et reste le sommeil. J’en suis presque devenu folle. Huit réveils lors des mauvaises nuits : je finissais par ne plus dormir à cause de la tension. Or, à force de ne plus dormir suffisamment – 4h en moyenne à une époque pour moi – le cerveau comme le corps finissent par disjoncter. On se retrouve à faire des choses inenvisageables avant, à penser à des choses terribles que notre rationalité restante tente de mettre à distance. Mettre un coussin sur la tête de Bébé pour moins entendre les pleurs et réussir à dormir encore un peu. Se jeter sous une voiture parce qu’une fois mort, on peut enfin se reposer. Divorcer, parce qu’à force de ne plus dormir et d’aller mal, c’est le couple qui finit par battre de l’aile. Sans parler du manque de concentration, de la perte de mémoire, de la confusion, du ralentissement de la compréhension.

Heureusement, au moment le plus difficile, avant d’arriver à des actions que nous aurions regretté toute notre vie, nous avons rencontré de bonnes personnes qui nous ont aidés à sortir la tête de l’eau. Une médecin, une psychologue, nos parents, le témoignage de personnes anonymes. Autant de personnes qui m’ont permis de m’accrocher, de savoir qu’une porte de sortie était possible. Et nous avons réussi à garder notre barque saine et sauve.

Mais après avoir pansé les blessures les plus urgentes, je me suis interrogée : où sont les chrétiens dans ce genre de moment ? Où sont les théologiens qui s’intéressent aux familles ? Bien sûr, nous avons de nombreux recueils de paroles de saints, mais souvent il s’agit de directives très générales, ou très appliquées à la situation particulière de celui qui est venu les voir.

Qui nous parle donc du quotidien des parents, qui s’est intéressé à trouver des manières concrètes de trouver Dieu dans la vie de famille, sans nous ressasser « prie, supporte, aime » ? Sans moraliser ? Sans rester décroché de la réalité parentale en alignant des concepts théoriques ou vagues ?

Bien sûr, à force de chercher, j’ai fini par trouver, dans des livres, mais surtout sur des sites de mamans chrétiennes, catholiques ou protestantes, témoignant en toute sincérité des difficultés de leur vie quotidienne. Donnant des perspectives pour prendre de la distance et poser un autre regard sur le quotidien de parents. Des « théologiennes du quotidien ». Et moi, qui ne savais plus profiter de la présence de mon enfant que j’avais tant souhaité, j’ai de nouveau compris ce que la « grâce d’être parent » pouvait vouloir dire.

Être parent est une grâce, parce que l’enfant est un cadeau, un nouvel être merveilleux auquel nous serons toujours liés. Mais être parent peut aussi être un calvaire, une épreuve. Et c’est là finalement que se trouve la vraie grâce : réussir à voir Dieu dans ce calvaire, voir la « grâce » qui arrive parfois sans prévenir dans une journée difficile, parvenir à la vivre et en éprouver de la gratitude. Cette matinée où il a dormi un peu plus longtemps. Sa petite main qu’il a glissée dans la mienne et la marche tendre de 3 petites minutes qui a suivi. Ce câlin gratuit d’une bonne minute, alors qu’on est sur le départ pour la crèche.

Être parent, c’est un calvaire. C’est une croix. La croix, nos prêtres en parlent beaucoup dans leurs sermons à l’église. Ils nous rappellent que nous avons tous une croix et que nous devons la porter, à l’image du Christ. Mais cela reste finalement encore très théorique. Comment définissons-nous notre croix ? A quel moment est-ce une croix que nous devons porter, à quel moment est-ce un poids que nous nous sommes imposés ?

Et cette croix, nous avons souvent l’impression que nous devons être seuls pour la porter, puisque c’est « notre » croix. Mais le Christ s’est fait aider : Simon de Cyrène l’a portée pour Lui, car Il était trop épuisé par les tortures qu’on Lui avait fait subir. Nous aussi, n’hésitons pas à nous faire aider dans notre quotidien de parents : ravalons notre fierté et osons demander de l’aide. Ce n’est ni honteux, ni un aveu d’échec. Nous sommes juste fatigués et nous avons le droit de demander de l’aide. Le Christ n’a jamais été seul durant sa vie et a toujours été aidé – je ne parle pas ici de solitude choisie, comme lors de sa retraite au désert peu après son baptême au Jourdain, mais de solitude intérieure. Les Évangiles nous relatent un seul moment de solitude extrême du Christ, au jardin de Gethsémané, avant son arrestation. Les apôtres dormaient et l’ont « abandonné », mais Lui prie : « mon Dieu, éloigne de moi cette coupe ».

Alors nous aussi, n’ayons pas honte de ces moments où, malgré tout l’amour que nous portons à notre progéniture, parfois, nous demandons dans le secret de notre cœur à être épargnés de notre « coupe » parentale. Oui, parfois, nous souhaitons pouvoir être tranquilles, débarrassés de nos enfants. Pas seulement chez les grands-parents, mais réellement débarrassés. Le grand vide. Puis, lorsque nous imaginons une telle situation, notre cœur nous fait mal et l’amour que nous avons pour eux nous rattrape. Comme le Christ. Il a prié pour que la coupe soit éloignée, mais Son amour pour les hommes Lui a permis de tenir bon à travers les souffrances et jusqu’à la mort, avec l’aide cependant et le soutien plus ou moins discret de tous ceux qui étaient autour de lui : Simon de Cyrène, St Nicodème d’Arimathie, St Jean Apôtre, Sa toute Sainte Mère, et les femmes myrrhophores.

Et rappelons-nous : la grâce, c’est cette petite lumière qui apparaît dans la nuit noire et nous redonne un souffle, un espoir.

Xénia Cr.

Mère d’un garçon en bas âge, Xénia Cr. est chercheuse dans le domaine environnemental, cheffe de chœur et catéchiste. Elle est également membre fondatrice de l’équipe éditoriale des Chroniques du Sycomore.

Comments are closed.

Mission News Theme by Compete Themes.