En quoi la figure rayonnante de Jean-Baptiste pourrait servir de modèle au catéchète?
D’abord par la fermeté et l’ardeur de son témoignage. Car le Baptiste fut par excellence un témoin. Par sa vie d’abord qui fut tout entière une ardente attente du Royaume. C’est cette attente qui le précipita, dès sa jeunesse, au désert, et qui lui fit mener l’existence la plus ascétique, cherchant ainsi par le dépouillement total, à se rendre entièrement disponible à Celui qui allait visiter son peuple. Cette brûlante attente ne pouvait être que contagieuse. Le feu dévorant qui consumait le Baptiste – qui, comme nous le voyons souligné par les icônes byzantines, affinait son apparence charnelle pour la rendre transparente à l’Esprit – devait se communiquer à ses auditeurs et les embraser à leur tour. De même la vie du catéchète, quelle que soit la forme concrète qu’elle revête, ne peut être qu’une vie consacrée, renvoyant à l’Unique Nécessaire. C’est dans cette mesure qu’elle pourra être la vivante révélation de ce dernier.
Mais le Baptiste ne se contentait pas de désigner le Royaume par son existence, il en parlait aussi, il le prêchait sur les bords du Jourdain. Avec une véhémence prophétique, sans aucun compromis – car on ne fait pas sa part à Dieu – il en proclamait les abruptes exigences : « Repentez-vous » (Mt 3,1) s’écriait-il, c’est-à-dire – selon le texte évangélique – opérez un retournement radical de votre mentalité, de votre façon de voir, convertissez-vous, car telle est la condition de la rencontre avec le Dieu qui vient. Et cela, il le « criait » (Mt 3,3) à tous, à la foule, mais aussi aux maîtres et aux chefs du peuple, les Pharisiens et les Saduccéens. Il devait ensuite le proclamer devant Hérode Antipas lui-même et payer de sa vie son audace prophétique.
Par là le Baptiste nous met en garde contre une tentation insidieuse qui guette l’apostolat moderne. Devant l’athéisme ou l’indifférence religieuse envahissants, devant les difficultés actuelles du langage religieux, nous sommes tentés de réduire au minimum la diffusion du message évangélique et, par exemple, de réduire la catéchèse à une pure formation éthique où la référence théologale, si elle n’est pas totalement passée sous silence, n’apparaît plus du moins que comme un accessoire ou une superstructure facultative. Nous sommes ainsi bien loin du Baptiste qui faisait découler de la venue du Royaume tous les préceptes de vie qu’il proclamait à ses auditeurs.
La tentation nous guette aujourd’hui d’amenuiser le message évangélique, sous prétexte de mieux le transmettre et, à la limite […] de nous réfugier dans le mutisme d’un très ambigu « témoignage silencieux » faute de langage approprié à nos auditeurs.
Or « la voix qui crie dans le désert » nous rappelle que, si le langage religieux doit être perpétuellement mis à jour, le mutisme n’est pas une solution digne d’un témoin de l’Évangile car, comme nous le dit l’apôtre Paul, « comment croire sans d’abord entendre? Et comment entendre sans prédicateur? » (Rm 10,14). Dévoré par le zèle de Dieu, le Baptiste n’a pas craint les rois et les puissants de son temps. Aujourd’hui, l’apôtre chrétien, le catéchète, comprend de mieux en mieux la nécessité de proclamer prophétiquement les exigences évangéliques de liberté, de justice, de fraternité, de respect de la personne humaine et de sa vocation infinie, face à toutes les structures oppressives, à tous les conformismes bien-pensants, qu’ils soient conservateurs ou « révolutionnaires ». Mais il est menacé de succomber à une crainte sournoise, d’autant plus sournoise qu’elle peut se camoufler en exigence d’efficacité dans l’évangélisation : il s’agit de la crainte qu’inspire la puissance d’une opinion publique largement déchristianisée. […]
Mais, comme le dit saint Syméon le Nouveau Théologien, « l’Esprit Saint ne craint personne et ne méprise personne ». Or telle est l’attitude du Baptiste inspiré par l’Esprit et que le catéchète peut prendre pour modèle. Car dans sa fermeté il n’y a nulle place pour le désir de domination, pour un « impérialisme » spirituel qui prendrait l’autorité divine comme prétexte pour assouvir une volonté idolâtrique de puissance. C’est ce que nous constatons dans sa prédication. […] Il se garde bien d’imposer aux autres la forme de vie qu’il a personnellement choisie. Au lieu de les entraîner à sa suite au désert en les subjuguant par l’autorité de sa parole, nous le voyons, au contraire, leur enseigner comment vivre, dans le monde, l’esprit du Royaume, sans abandonner leur travail quotidien. Aux publicains, détestés par les juifs, pour leur collaboration avec l’occupant païens, il ne demande pas de quitter leur profession, mais de l’exercer honnêtement « en n’exigeant rien au-delà de ce qui leur était fixé » (Lc 3,13). […]
Le catéchète se gardera lui aussi de l’insidieuse tentation de s’imposer lui-même au nom du message dont il est le transmetteur.
Sa fermeté sans compromis à ce dernier ne l’empêchera pas, bien au contraire, d’être accueillant au maximum à ceux dont il a la charge, d’être à l’écoute la plus attentive de leur situation particulière, celle de leur âge, de leur sexe, de leur milieu, de leur époque, avec ses intérêts, ses besoins et ses problèmes, afin de les aider à découvrir, à partir de cette situation concrète, leur voie propre vers le Royaume, les exigences spécifiques que leur adresse ce dernier.
Mais si le Baptiste a pu être à la fois si ferme et si accueillant dans sa prédication, c’est en raison de la manière même dont il vivait mission. Et c’est là que nous pénétrons peut-être, autant que nous le permettent les récits évangéliques, particulièrement celui de Jean, dans l’intimité la plus profonde du Précurseur, dans sa relation avec Celui qui devait venir. Car Jean-Baptiste, interrogé par des prêtres et des lévites envoyés de Jérusalem, répondit qu’il n’était pas le Christ, mais tout simplement une voix qui crie dans le désert : « Aplanissez le chemin du Seigneur » (Jn 1, 19-23). Ainsi il se définit comme une voix. Or le propre de la voix, c’est de transmettre intégralement la parole : c’est pourquoi Jean devait, sans aucun compromis, communiquer le message divin qui ne peut manquer de bousculer nos confortables sécurités. Mais le propre de la voix est aussi de s’effacer devant la parole, de n’exister qu’en fonction d’elle, et c’est pourquoi le Baptiste a rejeté toute affirmation de sa propre individualité, se rendant par là même hautement disponible à Celui dont il transmettait le message et à ceux auxquels le message était transmis. […] Et quand Celui qui était la lumière lui apparut aux bords du Jourdain, il le proclama à la foule comme étant Celui qui doit venir : « Voici l’agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. C’est de lui que j’ai dit : Il vient après moi un homme qui est passé devant moi parce qu’avant moi il était. » (Jn 1, 29-30). Il savait qu’ainsi il se condamnait à la solitude, mais il acceptait celle-ci comme un don joyeux à l’Ami dont il n’avait voulu que préparer les voies. À ceux qui se plaignaient de voir les disciples de Jean accourir vers Jésus, le Baptiste répondit par cet hymne où s’exprime le désir d’oblation du parfait amour :
« Qui a l’épouse est l’époux, mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Voilà ma joie, elle est maintenant parfaite. Il faut que Lui grandisse et que moi, je décroisse. » (Jn 3, 29-30)
Ainsi le Baptiste nous enseigne-t-il que la spiritualité du catéchète doit être celle du témoin, qui joint l’audace à la discrétion, l’intensité de la présence et l’humilité de l’effacement. Par l’enseignement et par l’existence, le premier authentifié par la seconde, celle-ci explicitée par le premier, il doit être la voix qui proclame Celui qui est venu dans la chair, qui doit revenir à la Parousie, mais qui, pour reprendre l’expression de Tagore, « vient, vient, vient à jamais ». […]
Nous ne devons pas oublier que notre rôle se borne, en définitive, à préparer la libre rencontre du Seigneur et de chacun de ceux dont nous avons la charge.
Costi Bendaly (+)
Extrait de L’Évangile dans la vie. Pour une éducation chrétienne rénovée. Éditions An-Nour, Beyrouth, 1975, p. 108-120.
Costy Bendaly (1926-2013) est un théologien et psychologue libanais. Membre actif du MJO (Mouvement de Jeunesse Orthodoxe), il a publié plus de soixante ouvrages sur des sujets théologiques, psychologiques, philosophiques et éducatifs, visant à faire dialoguer la pensée scientifique actuelle avec la foi en Christ. Quelques uns de ses livres sont traduits en français.
Les commentaires sont désactivés.