La Croix, dans l’Église orthodoxe, est une réalité ni triste, ni doloriste, contrairement à d’autres opinions courantes. On peut ajouter que même si notre croix est difficile, le Christ ne l’abolit pas totalement, mais la transforme en une épreuve supportable, grâce à la puissance de la Résurrection, dont la Croix est profondément inséparable.
La Croix endurée par le Christ a été une grande souffrance, réelle et non figurée, puisque par son Incarnation le Verbe de Dieu a véritablement assumé la nature humaine, avec la bienveillance de Dieu le Père et le concours du Saint-Esprit, comme le montre par exemple le récit de l’Annonciation, où l’Esprit Saint est présent (v. Luc 1,35 et tout l’épisode). Le Christ a ainsi assumé la Croix en tout ce qu’elle a de tragique, en raison de la séparation qui a eu lieu : par son péché, l’être humain s’est séparé de Dieu, sans pouvoir lui-même réparer ou annuler cette séparation. Seul le Christ a pu le faire, puisqu’Il est Dieu.
L’événement de la Croix est donc étroitement associé à la gloire de Dieu, à cette victoire divine sur la souffrance et sur la mort, ennemie du genre humain. C’est ainsi que l’on peut interpréter la « victoire sur les ennemis » demandée dans le tropaire de la Croix chanté ce jour : par la Croix, c’est le véritable ennemi qui est vaincu, Satan et la mort, bien au-delà de toute compréhension ethnique ou politique (voir. ce que dit S. Paul sur le véritable combat du chrétien, Éph 6,11-12).
La Croix est étroitement inséparable de la Résurrection, celle du Christ Vainqueur, qui a terrassé la mort, et procurant cette même résurrection à tout le genre humain. Le Christ a terrassé la mort : depuis plus de 2000 ans, le Christ Vainqueur nous invite, de génération en génération, à participer à cette victoire, à ressusciter nous aussi à la suite du Christ. Comme le proclame la prière eucharistique de saint Basile le Grand, par la Croix le Christ « a détruit les affres de la mort » et a « ouvert à toute chair la voie de la résurrection » (après le sanctus).
Pour bénéficier nous aussi de la résurrection, l’Évangile de ce 3e dimanche nous invite à renoncer à nous-mêmes, à notre propre vie, en confessant le Christ comme Vainqueur. Renoncer à soi-même et à sauver sa vie par ses propres moyens humains, c’est renoncer à notre égocentrisme, à notre propre conception de ce que nous pensons être bien pour nous, même à juste titre, cela pour préférer une vie en Dieu ressuscité et Vainqueur. Notre vocation, en effet, comme chrétiens, et celle proposée à tout être humain, est de mener une vie en Dieu. Remettre sa vie à Dieu, c’est chercher à Lui être agréable et rechercher sa volonté. Pour cela, il nous convient de rechercher des occasions de préférer la volonté de notre prochain à la nôtre, car cela est identique à préférer la volonté de Dieu. Notre renoncement est notre Croix personnelle, suivie à chaque instant d’une résurrection. À travers ce parcours de grandes ou petites morts et résurrections successives, Dieu construit peu à peu notre salut personnel et notre vie de ressuscités.
Cette vénération de la Sainte Croix est donc placée au milieu du Carême pour nous annoncer déjà la certitude de la Résurrection, victoire sur toute forme de souffrance et de mort. La Résurrection du Christ est aussi la nôtre et cette vénération de la Croix, bien au-delà d’un simple geste rituel, renouvelle en nous, si nous le voulons, la force du Christ ressuscité. Accepter notre croix, c’est vivre sur cette terre une vie de ressuscité, selon laquelle nous glorifions et remercions sans cesse le Christ notre Sauveur, avec son Père éternel et son Esprit très saint, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Père André Lossky
Le père André Lossky est liturgiste, spécialiste du typicon, professeur émérite de théologie liturgique à l’Institut Saint-Serge (Paris) et retraité de la fonction publique. Il dessert actuellement la paroisse orthodoxe d’Agen. Le texte ci-dessus a été envoyé le troisième dimanche de Carême 2021 à ses paroissiens de Toulouse.
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