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La figure de Joseph dans l’attente de la Nativité

Comme chaque année, nous entendons ces listes des ancêtres du Sauveur, ces arbres généalogiques, avec un certain étonnement, avec émotion peut-être, avec reconnaissance. Certains de ces noms ne nous disent pas grand-chose, d’autres rien du tout. Quelques-uns émergent bien sûr, Abraham, Isaac, Jacob, David, Salomon, Achaz, Ézéchias, Manassé et enfin la liste se termine chez Matthieu – ou elle commence chez Luc – par le nom de Joseph.

De Joseph aussi nous ne savons pas grand-chose, sauf les humbles et maigres témoignages des Évangiles. C’est sur cela que je voudrais m’arrêter aujourd’hui, sur la figure de Joseph. De ce Joseph qui est peut-être délaissé dans la piété liturgique orthodoxe. Il est célébré avec David, le roi et le prophète, le premier dimanche après la Nativité, et c’est tout. L’Occident latin, au contraire, lui donne une très grande place, parfois excessive, dans sa dévotion. Je ne crois pas qu’il soit déplacé de parler de lui aujourd’hui.

Il est lui aussi de race royale, on peut même dire cumulant la descendance et l’héritage royal, sacerdotal et prophétique lui venant d’Abraham, et c’est lui qui offre à Marie sa dignité, son honneur, sa généalogie. C’est lui qui couvre, dans l’ignorance tout d’abord et dans la foi ensuite et l’obéissance de la volonté de Dieu révélée par l’Ange dans son sommeil, c’est lui qui couve et qui protège la virginité de Marie avant la naissance de Jésus, pendant et après la naissance. Il est ainsi le protecteur de Marie et il sera appelé humblement son époux. Aux yeux du monde contemporain et aux yeux de bien des Chrétiens même aujourd’hui, il est l’époux véritable de Marie. Il est son époux légitime selon la loi, mais il ne la connaît pas selon la chair et il demeure ainsi le protecteur de sa virginité, le protecteur de sa maternité, il est, comme on l’appelle souvent, le Père nourricier de Jésus. Il fallait que, selon le plan de Dieu, Marie soit protégée, et il fallait aussi que le mystère de la virginité ou de la maternité virginale de Marie, soit caché aux yeux du monde et révélé seulement aux yeux de la foi, dans l’Église.

Joseph est ainsi le dernier de la généalogie, mais en lui se rompt, se brise la transmission de l’hérédité selon la chair pour laisser la place à l’hérédité, la transmission selon l’Esprit, car il est l’image du Père céleste auquel il cède la place, et c’est le Père dans l’Esprit Saint qui descend en Marie et qui déposera en elle la semence divine du Verbe éternel qui habitera en elle sans qu’elle ait connu le commerce conjugal.

Joseph est celui dont nous n’entendons jamais la voix dans les Évangiles, c’est Marie qui parle à Jésus au Temple. Joseph est pourtant – et nous en avons un indice précieux et émouvant dans l’Évangile selon Saint Matthieu – il est celui qui donne à l’enfant nouveau-né le nom de Jésus. Comme nous venons de l’entendre dans le dernier verset de l’évangile d’aujourd’hui : « Joseph ne la connut point jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils auquel il donna le nom de Jésus ». Ce nom de Jésus que Marie a porté dans son cœur dès l’annonce évangélique à Nazareth, qu’elle a murmuré pendant que l’enfant grandissait en elle et qu’elle murmurera toute sa vie et pour toujours, ce nom a été également révélé à Joseph en songe, et non pas dans un face à face, par l’Ange. Ce nom de Jésus Joseph l’a aussi retenu et murmuré dans son cœur, et c’est lui qui, selon la loi, a donné à l’enfant ce nom de Jésus devant lequel se prosternent toute puissance céleste au ciel et toute croyant sur terre. Ainsi Joseph s’efface devant le mystère de la maternité de Marie, mais il est présent dans la grotte, il est présent dans la fuite en Égypte, il est présent dans le retour en Galilée, il est présent aussi dans l’entretien de Jésus adolescent avec les docteurs dans le Temple. C’est pourquoi il me semble digne de parler de Joseph, de celui qui est effacé et qui, en même temps, est là durant l’enfance et l’adolescence de Jésus, dont nous ne savons plus rien après, ni sur sa vieillesse, ni sur sa famille, ni sur sa mort. Parler de Joseph suscite dans notre cœur, un sentiment de tendresse, de reconnaissance et d’émotion et qui n’est pas déplacé dans notre prière envers Dieu. Nous devons garder la reconnaissance envers Joseph, nous devons aussi nous souvenir que Jésus est obéissant à ses parents, à Marie, à Joseph, jusqu’à son apparition à l’âge adulte au Jourdain. Il vécut dans le silence, il vécut dans le climat familial jusqu’à son âge adulte, obéissant à ses parents, comme disent les Évangiles.

Un dernier parallèle encore, un dernier épisode, un dernier rappel s’impose, et celui-ci est suggéré par les stances des Matines du Samedi Saint. A la troisième stance nous avons un verset qui nous dit ceci et je vais vous le lire : « Ô sauveur chante l’Église, Joseph qui naguère te portait a disparu et c’est un autre Joseph qui maintenant t’ensevelit ». Il y a là une analogie, un parallélisme – comparaison peut être gratuite, dont on ne peut pas tirer grand-chose peut-être de plus-, mais qui pourtant nous frappe aussi et que l’Église elle-même a retenu. Cette comparaison entre le premier Joseph qui était dans les ténèbres de la grotte et qui peut-être aidait Marie à langer Jésus, et l’autre Joseph qui entre aussi dans les ténèbres du tombeau et qui aide les femmes myrophores à recouvrir de linges, celui qui est mort et qui est déposé dans le tombeau pour renaître dans son corps, dans sa chair, à la vie de l’Esprit, de cet Esprit qui l’a pénétré et rempli totalement dès sa naissance. Nous voyons ce dernier Joseph qui rend les derniers soins au Sauveur, qui l’oint d’aromates avec les Myrophores et qui lui offre une autre grotte, son tombeau tout neuf. Nous ne pouvons rien dire de plus, nous ne pouvons que retenir cette analogie et nous ne pouvons ici que retenir ce mystère du service de Joseph.

Au terme de cette méditation, il faut encore rappeler qu’à la différence de la piété occidentale qui unit fréquemment « Jésus, Marie et Joseph », dans une vénération commune, naturalisant pour ainsi dire le mystère le mystère de la Nativité de Jésus, l’église orthodoxe souligne le rôle second de Joseph, l’élection unique de Marie dans sa maternité virginale, inconcevable aux anges et aux hommes, devant lequel Joseph lui- même a connu le trouble et le doute. La grandeur de Joseph est dans son obéissance au-delà de tout raisonnement humain et dans son « oui » à l’ange, se mettant ainsi au service de l’enfant divin et de sa mère.

Puissions-nous aussi, dans notre préparation à Noël, nous apparenter, encore plus à lui, puissions-nous aussi apprendre de lui l’art du dévouement, la tendresse, le service silencieux dans l’humilité, dans l’amour, ce service silencieux par lequel Joseph et par lequel nous aussi, nous sommes appelés à apprendre, à protéger la virginité de Marie qui est le prototype, qui est la figure de notre propre virginité intérieure, de celle de nos cœurs, de cette pureté à laquelle nous sommes appelés à tendre, à renouveler en nous. Car, c’est dans la pureté, dans la sainteté que Jésus veut naître, et Jésus vient pour naître non seulement dans la grotte de Bethléem, mais aussi dans la grotte du plus profond de nos cœurs.  

Père Boris Bobrinskoy

Le père Boris Bobrinskoy (1925-2020) a été professeur puis doyen de l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, il aussi été recteur de la paroisse de la Sainte-Trinité (crypte de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de Paris). Il est l’auteur de nombreux ouvrages de théologie et de liturgie. Un recueil de ses homélies a été publié récemment sous le titre « Viens, Esprit de Vérité » aux éditions du Cerf.

Texte provenant d’une homélie prononcée par le père Boris en 1985 et publié initialement dans le Bulletin de la Crypte n°3, 2020.

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