Arrêtons-nous sur l’histoire de la réception par les diverses Églises orthodoxes de trois conciles suivants : Nicée (325), Éphèse (449), Chalcédoine (451).
Le concile de Nicée de 325 (le premier concile œcuménique) qui eut lieu sous la présidence de l’empereur Constantin condamna l’hérésie d’Arius et reconnut le Fils de Dieu comme consubstantiel (homoousios) à Dieu le Père. Néanmoins, pendant les quelques décennies qui se déroulèrent entre ce concile et la convocation du concile de Constantinople de 381 (2e concile œcuménique), la querelle entre les nicéens et les antinicéens, les partisans de l’homoousios et ceux de l’homïousios [c’est-à-dire de substance semblable et non pas identique], continua d’agiter tout l’Orient chrétien. La foi de Nicée ne fut complètement approuvée qu’après cinquante-six ans de troubles, marqués par des conciles, des excommunications, des exils, l’intervention des empereurs et la violence, écrit à ce propos le père Yves Congar. Dans certaines Églises, le processus de réception du concile de Nicée se prolongea encore plus longtemps : l’Église de Syrie, par exemple, ne l’adopta qu’en 410, lors du concile local de Séleucie-Ctésiphon, c’est-à-dire 85 ans après.
Le concile d’Éphèse de 449, convoqué par l’empereur Théodose en tant que concile œcuménique, rétablit dans le sacerdoce l’hérétique Eutychès précédemment condamné pour monophysisme. C’est Dioscore d’Alexandrie qui fut l’acteur principal de ce concile : ses adversaires du clan des diphysites modérés, parmi lesquels Flavien de Constantinople, Eusèbe de Dorylée, lbas d’Edesse et Théodoret de Cyr, furent déposés. Les actes du concile furent approuvés par l’empereur, ce qui signifiait la victoire complète de Dioscore. Mais cette victoire fut une victoire à la Pyrrhus, car les légats du pape, présents au concile, se rangèrent aux côtés de Flavien de Constantinople et, à leur retour à Rome, ils firent part au pape Léon de la défaite du parti diphysite. Le concile local de l’Église de Rome annula les décisions du concile œcuménique d’Éphèse. Par la suite, les autres Églises locales adoptèrent la même attitude et, lors du concile de Chalcédoine, en 451, le concile d’Éphèse de 449 fut qualifié́ de brigandage. C’est donc la position d’une seule Église locale, celle de Rome, et de son primat, le pape saint Léon, qui fut décisive dans l’affaire du rejet d’un concile qui, auparavant, avait été appelé́ œcuménique. On ne saurait négliger non plus le rôle de l’empereur Marcien qui avait succédé́ à Théodose, lequel protégeait Dioscore.
Quant au concile de Chalcédoine de 451, même s’il est entré dans l’histoire sous le nom de 4e concile œcuménique, il n’a jamais été unanimement reçu par toute la plénitude (le plérôme) de l’Église chrétienne. Ce concile a déposé́ Dioscore et fait triompher l’orientation diphysite en christologie. Toutefois certaines Églises ont rejeté́ la définition de foi de Chalcédoine, voyant en elle un pas en arrière en direction du nestorianisme, déjà̀ condamné précédemment. « Le concile de Chalcédoine devint un signe de contradiction », écrit à ce propos V. Bolotov. On n’a jamais discuté́ d’aucun concile autant que de ce 4e concile œcuménique, où les Pères étaient venus si nombreux. Pendant plus d’un siècle, la politique ecclésiastique des empereurs et les relations intérieures de l’Église ont tourné́ autour d’une seule question : faut-il ou non accepter le concile de Chalcédoine ?
L’opposition à Chalcédoine fut particulièrement forte aux confins de l’Empire romain et hors de ses limites, en Égypte, en Syrie, en Arménie. Cependant, même dans la capitale de l’Empire, l’attitude envers le concile n’était pas univoque : si les empereurs Marcien (450-457) et Léon ler (457-474) le soutenaient, Zénon (475-491) au contraire adopta une attitude plus circonspecte. Il essaya en effet de réconcilier les monophysites avec les diphysites, en publiant l’Hénotikon, un exposé général de la foi, qui, tout simplement, ne disait pas un mot du concile de Chalcédoine. Ainsi donc, chaque Église locale avait le droit de reconnaitre ou d’ignorer ce concile, et les trois premiers conciles œcuméniques furent proclamés comme étant la base commune de la foi de l’Église.
L’historien de l’Église Evagre le Scolastique décrit en ces termes la situation concernant la réception du concile de Chalcédoine dans la deuxième moitié́ du Ve siècle : « Le concile de Chalcédoine, en ces années, n’a manifestement été ni proclamé ni rejeté́ publiquement dans les Saintes Églises ». Chaque primat agissait de la manière qui lui paraissait légitime. Les uns (les chalcédoniens) s’en tenaient à ce qui avait été dit lors du concile et n’introduisaient aucune modification dans ses définitions, sans vouloir y changer un iota […]. Les autres (les antichalcédoniens extrêmes) non seulement ne pouvaient admettre le concile de Chalcédoine et ses décisions, mais le vouaient à l’anathème ainsi que le Tomos de Léon […]. Les troisièmes se basant sur l’Hénotikon de Zénon, se querellaient à propos d’une nature ou de deux natures, les uns se référant à la lettre, les autres aspirant plutôt à la paix (antichalcédoniens modérés), et étaient d’avis que chaque Église devait être responsable de son propre sort et que leurs primats ne devaient pas communiquer entre eux.
Le processus de réception du concile de Chalcédoine n’était pas encore achevé́ lorsqu’un nouveau concile œcuménique fut convoqué́ en 553 pour réconcilier les monophysites avec les diphysites. En fin de compte, ce processus resta à jamais inachevé́ : certaines Églises acceptèrent le concile (les chalcédoniennes), les autres non (les préchalcédoniennes).
Métropolite Hilarion Alfeïev
Extrait d’une communication du père Hilarion Alfeïev à la Commission théologique synodale du Patriarcat de Moscou en février 1997. Le texte complet a été publié dans le Document 217.B du SOP.
Le métropolite Hilarion (Alfeïev) est aujourd’hui métropolite de Budapest et de Hongrie. Il a été précédemment métropolite de Volokolamsk et président du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou de 2009 à 2022. Il est un théologien spécialiste des langues anciennes, dont les ouvrages sont traduits dans de nombreuses langues.
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