C’est saint Jean Chrysostome qui a éveillé mon oreille et m’a convaincu que la synodalité est d’abord un chant. Un chant de louange. Et que le synode est un chœur.
L’archevêque de Constantinople commente le premier verset du psaume 149: « Chantez au Seigneur un chant nouveau, sa louange dans l’église des saints ». Un chant nouveau, car tout est nouveau depuis que le Christ nous a révélé son Père. « L’alliance d’abord, dit-il : « J’établirai pour vous une alliance nouvelle ; » (Jr 31,31) ; la créature ensuite : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature ; » (2 Co 5,17) l’homme enfin : « Dépouillé du vieil homme, il a revêtu le nouveau, celui qui se renouvelle en vérité, à l’image de son Créateur. » (Col 3,9) ».
À réalité nouvelle, chant nouveau. Mais il y a une autre réalité nouvelle: l’Église des saints. Elle porte cette nouveauté, elle l’offre au monde. Elle en est l’incarnation dans l’histoire des hommes. Et elle le fait dans une dimension que la musique exprime, révèle, signifie : « C’est là un autre enseignement qui révèle qu’il faut louer Dieu avec un accord parfait (symphônia), car l’Église est le nom d’un ensemble harmonieux, d’un synode ». Et le Chrysostome insiste : «Vous voyez comme on emploie partout le pluriel. Autrefois on instruisait le peuple à chanter dans l’harmonie et à plaire à Dieu dans l’amour et la concorde ».
L’Église est un synode. Pourquoi pas une synode ? Je sais que synode vient du grec syn-odos, masculin, suggérant un chemin commun. Et si l’on imaginait que la synode vienne de syn-ôdè, féminin, un chant commun? Un de mes anciens professeurs de latin disait que les étymologies fausses sont parfois plus signifiantes que les vraies. En tout cas, Jean Chrysostome suggère que l’Église-synode, que le chemin ecclésial se fait en chantant :
« Là où l’on chante les psaumes, là où l’on prie, là où s’assemble le chœur des prophètes, et où la pensée des chanteurs est pleine de l’amour de Dieu, ce n’est point se tromper que d’appeler église un pareil synode ». (Comment. Ps 41, § 2)
De grandes exigences sont requises pour que le chant soit digne d’être la louange du Seigneur : accord parfait (symphônia), ensemble harmonieux (systèma), accord pluriel : le solo n’a sa place ni dans l’Église, ni dans sa liturgie.
Et Jean Chrysostome en rajoute : « Qu’ils louent son Nom en chœur. Voici donc reparaître cette douce symphonie qui réunit dans un même chœur toutes les voix et toutes les âmes. Paul la recommande aussi quand il dit : « Ne désertons pas nos assemblées. » (Hb 10,25). Ainsi donc, le prophète David exige qu’on chante avec joie ; c’est ce qui respire dans cette parole : « Qu’ils louent son Nom en chœur, » par une agréable symphonie, par une vie pure ».
Jean Chrysostome était sensible à la dimension musicale de la louange, au fait que le chant liturgique, dans un accord parfait, favorise la création d’un ensemble harmonieux, et fait de l’Église un synode, une synode, osé-je dire. En jouant encore avec les mots, disons qu’il n’y a pas de symphonie s’il n’y a pas de sympathie, de participation à la souffrance des autres.
Jean se souvenait peut-être des mots qu’Ignace, l’évêque de sa ville natale 280 ans plus tôt, écrivait aux Éphésiens : « Que vous deveniez tous un chœur, afin que, dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père ». Des synodoi, selon le beau mot d’Ignace, compagnons de route et compagnons de chant, créateurs de communion.
Du temps où j’étais responsable laïc de la paroisse orthodoxe de Fribourg (1982-2003), notre chœur chantait bien, fidèle à notre esprit communautaire. Le métropolite à la retraite Emilianos Timiadis, connu de beaucoup, aimait venir célébrer la Liturgie dans notre communauté. Un dimanche, à la fin, il me dit : « Le chœur n’était pas très uni aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a un problème entre les chanteurs ». C’était vrai, il y avait eu une dispute avant l’office. L’évêque ajouta : « N’oubliez pas que c’est le chœur qui donne le ton et entraîne les fidèles dans la prière ». Oh! ce n’étaient pas les schismes et hérésies que l’apôtre Paul reproche aux chrétiens de Corinthe (1 Co 11,18-19). Mais tout de même un ferment de division.
Pour chanter juste, il faut d’abord écouter l’autre. Pour faire synode, il faut écouter les autres et l’Esprit Saint, notre chef de chœur. Et en attendre des surprises. Le processus synodal en cours actuellement dans l’Église de Rome est difficile, risqué disent certains. S’engager ensemble sur un chemin peu connu l’est aussi. Ouvrir ensemble une partition musicale nouvelle de même. Mais refuser d’être des synodoi, marchant et chantant en accord, l’est encore plus. C’est faire mentir ce que nous célébrons dans la Liturgie, et probablement l’annuler.
Face à la cacophonie, au scandale d’une communauté divisée, d’une Église déconstruite, Jean est sévère : « Un synode a un autre caractère, celui de la charité et de l’amour fraternel ; certes, vous vous réunissez tous dans un seul et même lieu, et vous êtes ensemble; mais votre table n’a plus rien de semblable à un synode ». (Hom. 27 sur 1 Co § 2). Il est donc plus urgent que jamais de travailler à cet accord des voix, des chœurs et des cœurs.
Noël Ruffieux
Noël Ruffieux est un penseur orthodoxe suisse, auteur de plusieurs ouvrages, spécialiste des questions pastorales, qui a notamment enseigné à la Faculté théologique de Fribourg. Il a publié entre autre : Réparer la maison de Dieu – Pour la communion dans l’Église, éd. Médiaspaul, 2020.
Comments are closed.