On appelle « Avent » la période de quarante jours qui prépare la venue du Fils de Dieu dans la chair, le jour de Noël. […] Cette venue du Christ est introduite pendant six semaines par la lecture, au cours de chaque dimanche, d’évangiles qui fournissent le thème central des offices préparant la fête.
Enrichir notre vie éternelle
La première lecture concerne le récit du riche insensé dans l’Évangile de Luc (Lc 12, 16-21). Vous vous souvenez de cette parabole du riche qui amasse un grand trésor à la suite de récoltes magnifiques, qui construit d’immenses granges pour les amasser, puis qui se caresse doucement le ventre en disant : « Réjouis-toi mon âme, car maintenant tu as des richesses pour le restant de ta vie. » Il entend alors une voix qui lui dit : « Insensé, aujourd’hui même ton âme te sera demandée et que feras-tu de toutes tes richesses ? »
Le deuxième passage, le dimanche suivant, est celui du jeune homme riche (Lc 18, 18-27) qui suivait fidèlement les commandements de Dieu mais qui sentait qu’il lui était demandé davantage. Il interroge le Seigneur Jésus sur ce qu’il doit faire pour entrer dans le Royaume de Dieu. Le Christ lui dit : « Va, vends tous tes biens et suis-moi. » Le jeune homme baisse la tête et s’en va, car il est très riche. Le Christ dit alors tristement : « Comme il est difficile à un riche d’entrer dans le Royaume, il est aussi difficile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille. » Voilà les deux premiers textes qui nous préparent à Noël.
Tout est résumé par la parole du Christ Lui-même : « Recherchez le Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. » (Lc 12,31) On ne peut servir Dieu et Mammon. On ne peut avoir pour but de vie à la fois l’enrichissement et le Royaume de Dieu. Si notre préoccupation principale est de gagner de l’argent, ce ne sera pas le Royaume de Dieu. Là où est notre trésor, là est notre cœur et si notre cœur est dans l’argent, dans notre compte en banque, il ne sera pas dans le Royaume de Dieu. Le riche insensé a pris pour but de vie d’amasser de l’argent. Quand vient la mort, le Christ dit : tout son trésor, où ira-t- il ?
Nous devons donc désirer passionnément, de tout notre cœur, la présence de Dieu et son Royaume. Dieu, qui est un Père bon, si nous faisons notre devoir et notre travail, pourvoira à nos besoins, Lui qui donne à manger aux moineaux et qui revêt le lys des champs d’un vêtement plus beau que celui de Salomon (cf. Lc 12,27). Il prend soin de notre nourriture et de notre vêtement.
Cela ne veut pas dire, évidemment, qu’il faut se croiser les bras et ne pas travailler. Saint Paul nous dit que celui qui ne travaille pas, ne mange pas (cf. 2 Thess 3,10). Nous devons donc travailler et faire notre devoir, mais ne pas nous soucier de nos biens matériels, ne pas en avoir la préoccupation. Que notre préoccupation centrale soit le Royaume de Dieu. Ayons cette confiance dans la bonté du Père que, si nous faisons notre devoir et notre travail, le Père céleste veillera à ce que nous ayons le nécessaire, c’est-à-dire de quoi nourrir et vêtir nos enfants. Je crois que c’est tout le contraire de l’attitude habituelle aujourd’hui.
Il faut avoir en permanence devant les yeux la vraie vie, la vie éternelle, qui commence dès maintenant, et par conséquent travailler pour enrichir notre vie éternelle, non pour faire grossir notre ventre et nourrir les vers qui dévoreront ce ventre dans notre tombe.
Il s’agit donc de savoir si vraiment l’on désire Dieu, si vraiment l’on a soif de Lui. Il est évident que si l’on désire de tout son cœur et de toute sa volonté arriver au sommet d’une montagne et que l’on est chargé d’un sac avec vingt ou trente kilos de pierres, si l’on a un peu de bon sens, on jettera le sac avec ces pierres dont le poids nous empêche d’arriver au sommet. La richesse est ce sac de pierres qui nous empêche d’arriver dans le Royaume de Dieu. Si l’on désire la présence de Dieu, on fera tout ce que l’on peut pour se débarrasser de ce poids inutile et gênant qu’est la richesse. C’est ce que Jésus demande au jeune homme riche qui voulait le suivre : « Va, vends tous tes biens, donne-les aux pauvres et suis-moi. »
Pourquoi rester chargé de toutes ces richesses ? Le comble de l’absurdité, c’est lorsque non seulement le chrétien ne cherche pas à se débarrasser de ses richesses, mais qu’il veut en accumuler. C’est un extraordinaire paradoxe qu’il puisse y avoir des gens soi-disant chrétiens qui désirent les richesses matérielles. Je ne parle pas du vêtement, de la nourriture et du logement nécessaires à la subsistance de nos enfants, je parle des richesses. Désirer être riche, désirer accumuler des biens, c’est délibérément vouloir obtenir ce qui va nous empêcher d’entrer dans le Royaume de Dieu. […]
Aveugles aux réalités profondes de l’existence
Pour discerner tout ce que l’Évangile dit, il faut avoir les yeux ouverts et c’est pourquoi le troisième dimanche de l’Avent nous raconte le récit de l’aveugle de Jéricho (Lc 18, 35-43), qui, lorsque Jésus passe, pousse un immense cri : « Fils de David, aie pitié de moi, aie pitié de moi ! » Jésus s’arrête et lui dit : « Que veux-tu que je fasse ? » L’homme lui répond : « Que je voie ! » Le Christ lui répond : « Retrouve la vue. »
Ce qui est atroce, c’est que nous sommes aussi des aveugles, aveugles non pas aux choses – les choses nous les voyons tellement qu’elles nous rendent aveugles à tout ce qui est au-delà des choses, aux réalités profondes de l’existence – mais aveugles au Dieu invisible, aveugles au Royaume de Dieu qui est la vérité ultime de l’existence. Non seulement nous sommes aveugles, mais nous ne cherchons pas à voir, nous sommes contents d’être aveugles. […]
Le premier pas de notre salut, pour se préparer à accueillir le Fils de Dieu, c’est de supplier comme l’aveugle de Jéricho : « Seigneur, que je voie ! Ouvre les yeux de mon âme pour que je discerne les réalités profondes de l’existence ! »
Combien de mamans croient aimer leur enfant en le gavant de sucreries et de cadeaux inutiles, en ne s’intéressant pas au développement de l’homme intérieur pour épanouir en lui les forces profondes et la soif de Dieu. Elles croient l’aimer en le bloquant sur les choses, en le gâtant – c’est le cas de le dire. L’éducation chrétienne doit, au contraire, essayer d’ouvrir l’enfant à l’infini.
Le Christ, notre libérateur
Le Christ nous libère de la peur. Pour aller vers le Seigneur, pour aller à la rencontre du Seigneur qui vient le jour de Noël, nous avons besoin d’être libérés. C’est pourquoi le quatrième dimanche de l’Avent nous raconte l’histoire de cette femme courbée en deux depuis dix-huit ans, que Jésus a guérie le jour du sabbat (Lc 13, 10-17). Les hypocrites Lui reprochent d’avoir effectué une guérison un jour de Sabbat et Jésus leur répond : « Lequel d’entre vous n’ira pas, si son âne est attaché, le détacher le jour du sabbat pour le nourrir ? Cette femme que Satan a tenue liée depuis dix-huit ans, n’était-ce pas le jour du sabbat qu’il fallait la détacher de ce lien ? » Oui, tous les jours sont bons pour la liberté.
Le Christ est celui qui nous détache de nos liens, qui nous libère, qui, lorsqu’Il voit l’être courbé en deux, incapable de se tenir droit, incapable de regarder vers le ciel, vient nous détacher, nous libérer pour que nous puissions monter vers Lui, aller à sa rencontre.
Alors, de même que nous sommes aveugles aux réalités profondes du Royaume, de même sommes-nous tout entortillés dans nos servitudes, dans nos désirs, dans nos peurs, dans nos passions, le Christ est Celui qui vient nous libérer de tout cela pour nous permettre de lever les yeux et de commencer notre ascension. Ayons donc cette soif de liberté, cette soif de pouvoir monter, de ne pas être rivés au sol. […]
La femme était courbée en deux depuis dix-huit ans, toute tordue ; c’est bien là l’œuvre du Malin. Lorsque l’être humain, se séparant de Dieu, se livre à la puissance du Malin, ce dernier pervertit tout, il nous tord, il nous abîme, il nous rend tout faussés. Et voilà que le Seigneur Jésus, voyant la femme, la libère de son infirmité. Il la redresse, la restaure dans son intégrité. « Elle redevint droite et se mit à rendre gloire à Dieu. » Voilà bien ce que le Seigneur Jésus peut faire pour chacun de nous, si nous Lui faisons confiance et que nous nous livrons à Lui, car nous aussi sommes tordus. Notre caractère est tordu, faussé, déformé, compliqué, et le Seigneur Jésus est Celui qui nous libère, nous redresse. L’homme est fait pour être debout. Les animaux sont à quatre pattes et regardent vers la terre. L’homme seul, debout sur ses deux pieds, solidement sur terre, peut regarder vers le ciel et se tenir droit. […]
Allons-nous nous tourner vers le libérateur, vers le médecin de nos âmes et de nos corps en lui disant : « Seigneur, Toi qui es Dieu et qui T’es fais homme, Toi qui as restauré la nature humaine dans son antique beauté, Toi qui as redressé la femme courbée, redresse-moi, restaure-moi, rends-moi mon intégrité, fais de moi un homme libre, un homme à ton image, un homme droit, un homme debout, qui puisse aller de l’avant et marcher vers ton Royaume ! » Le Christ est notre libérateur, encore faut-il que nous Lui demandions la liberté !
Le banquet du Royaume
Après tout cela vient le cinquième dimanche de l’Avent où nous est racontée la parabole du banquet du Royaume (Lc 14, 16-24). Ce banquet auquel étaient invités tous les officiels et les grands, les riches du Royaume, tous ont eu une bonne excuse pour ne pas y venir. Alors le roi envoie ses serviteurs : « Allez dans les rues, invitez les pauvres, les aveugles, les estropiés et faites-les tous entrer dans mon Royaume. »
Noël sera le banquet du Royaume. Lorsque l’Église nous prépare à Noël, elle nous prépare aux deux venues du Christ: la première venue dans la pauvreté de la grotte de Bethléem n’est que l’un des aspects de la venue du Christ à la fin du monde dans sa gloire. L’Avent nous prépare à la fois à la venue du Christ qui a eu lieu et à celle qui aura lieu. Ces deux venues se confondent en réalité en une seule, déjà d’ailleurs dans le langage des prophètes d’Israël, d’Isaïe en particulier. À Noël, nous fêtons la venue du Christ, sa première venue qui nous prépare à sa deuxième venue. Si la première fois Il est venu pour nous sauver, la deuxième fois Il viendra pour nous juger. Comme nous vivons dans cet entre-deux, nous devons vivre à la fois ces deux avènements, afin d’avoir accès au banquet du Royaume.
Noël, c’est l’invitation au banquet du Royaume de Dieu : le Fils de Dieu qui vient vers nous pour nous accueillir dans son Royaume. Il ne faut pas voir en Noël simplement le petit enfant dans sa crèche. Cela, c’est le début. Toute la vie commence par l’enfance mais l’enfance tend vers l’âge adulte, vers le dénouement. La naissance du Christ dans la chair tend vers le moment glorieux où Il nous fera entrer dans son Royaume et où, justement, Il invite dans son Royaume tous les pauvres et tous les aveugles, tous les estropiés, tous les malades, tous les infirmes que nous sommes pour que nous ouvrions les yeux, pour que nous nous redressions en hommes libres, en hommes debout, pour entrer dans le banquet du Royaume.
La généalogie de Jésus
Enfin, le dernier dimanche avant Noël, il y a cet évangile qui paraît si monotone (Mt 1, 1-25) : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob… » et ainsi de suite. Tout l’Évangile se passe en une longue liste de noms (trois fois quatre générations) et les fidèles se disent : « Mais pourquoi nous embête-t-on avec tous ces noms d’inconnus ? » Cela nous montre cependant que la venue du Fils de Dieu dans la chair n’est pas un accident de l’histoire mais qu’elle a été longuement préparée, depuis Abraham dans la généalogie de Mathieu, depuis Adam dans celle de Luc. Elle a été préparée depuis le début du monde parce que l’événement de l’Incarnation est au centre de l’histoire et il a fallu la foi et la piété de tous ceux qui, d’Abraham à la Vierge Marie, par leur amour et leur foi, ont préparé ce « oui » de l’humanité prononcé le jour de l’Annonciation par la Vierge Marie. Il a fallu toute cette longue lignée d’hommes fidèles pour que l’humanité soit capable d’accueillir la visite du Fils de Dieu. La Providence, le Dieu de l’histoire, a préparé l’événement tout le long de l’histoire et c’est lorsque les temps sont mûrs que l’événement décisif se produit.
Ce n’est pas pour rien que nous comptons les années par rapport à la naissance du Christ, en disant avant ou après Jésus-Christ. L’événement de l’Incarnation, de la venue de la Parole de Dieu dans la chair, est littéralement le centre de l’histoire, l’événement décisif vers lequel tendent tous les événements qui l’ont précédé et d’où découlent tous les événements qui suivront. C’est vraiment le point de convergence de tous les combats et de toutes les luttes de l’histoire. C’est l’événement qui donne un sens à la vie de l’humanité et à la vie de chaque homme. […]
père Cyrille Argenti (+)
Le père Cyrille Argenti (1918-1994) fut une figure majeure de l’orthodoxie en France au XXe siècle. Résistant, moine et prêtre à Marseille, il a œuvré à l’avènement d’une orthodoxie d’expression locale ainsi qu’au dialogue oecuménique.
Source : https://monastere-de-solan.com/content/24-pere-cyrille
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