Quel est le sens de cette période qui va de la résurrection du Christ, de Pâques, jusqu’à la descente du Saint Esprit, à la Pentecôte ? Ces deux fêtes existaient déjà chez les Juifs, préfigurant les deux fêtes chrétiennes. Ce point est très important pour comprendre le sens de Pâques et de la Pentecôte.
À Pâque, en effet, les Juifs célèbrent la sortie d’Égypte, la libération de la tyrannie du pharaon par l’immolation de l’agneau pascal. Cinquante jours plus tard – en grec le cinquantième jour se dit Pendicosti, « Pentecôte » – ils fêtent le jour où Dieu remit à Moïse la Loi qui devait les conduire vers la Terre promise et vers le Royaume de Dieu. Durant ces cinquante jours, ils sont en marche entre la Mer rouge et le Sinaï. Il s’agit donc d’une marche à travers le désert.
L’attente du Consolateur
Ce n’est pas un hasard si le jour où le peuple d’Israël fête la réception de la Loi, le peuple chrétien fête la réception de l’Esprit Saint. L’un préfigure l’autre. De même qu’après la sortie d’Égypte ce peuple libre a besoin d’une règle de vie, de même ce peuple, libéré non plus de la tyrannie du pharaon mais de celle du péché et du démon, de la mort et de la peur de la mort, a besoin d’un guide pour marcher dans la vie. Ce guide, c’est le Saint-Esprit. Or, les deux aspects sont très profondément liés, puisque le premier geste du Christ ressuscité, le dimanche de Pâques même, est de souffler sur ses apôtres en disant : « Recevez le Saint Esprit ». Dès que le Christ ressuscite, Il donne à ses disciples ce don de Dieu qu’Il avait promis à la Samaritaine, ce Saint Esprit qui repose sur Lui. Le soir de Pâques, Il Le donne à ses apôtres et cinquante jours plus tard, après son Ascension, Il Le donne sous forme de langues de feu à toute son Église, aux cent-vingt disciples rassemblés avec la Vierge Marie, nous précise Luc dans les Actes des apôtres.
Or, avec une langue, on parle et avec une langue de feu, on parle la Parole de Dieu. C’est donc la Parole de Dieu que le Saint Esprit va faire entrer, va incarner dans l’Église le jour de la Pentecôte. Il s’agit de la conséquence directe de la Résurrection. Le Christ ressuscité, parti dans le Royaume, dit bien à ses disciples : « Il convient pour vous que Je m’en aille, car si Je ne partais pas, vous ne recevriez pas le Saint Esprit. »
Nous vivons donc pendant ces cinquante jours dans l’attente du Saint Esprit, à la fois dans la joie de la Résurrection et dans l’attente de la venue du Consolateur. Cette période est extrêmement joyeuse. Nous nous saluons en disant : « Le Christ est ressuscité ! » Il s’agit en même temps d’une période d’attente et d’espérance de ce don qui est le plus grand de tous les dons, le don de Dieu, c’est-à-dire la réception de Dieu en la personne de son Saint Esprit.
« Il convient pour vous que Je m’en aille… » En d’autres mots, le don est encore plus précieux que la présence du Christ. En effet, les crucificateurs étaient en présence du Christ et cela ne leur servait pas à grand chose, tandis que les disciples, le jour de la Pentecôte, ont en eux, non pas simplement extérieurement, la présence de Dieu en la personne du Saint Esprit.
La présence du Christ est en quelque sorte objective, la présence du Saint Esprit est à l’intérieur de l’Église et des personnes.
Un peu comme le jour de l’Annonciation, lorsque le Saint Esprit recouvre la Vierge Marie de son ombre, le Verbe s’incarne en elle, le jour de la Pentecôte, lorsque le Saint Esprit recouvrira de son ombre l’Église toute entière et chacun de ses membres, le Verbe, la Parole de Dieu deviendra présente à la fois dans l’Église et dans chacun de ses membres. Le Verbe n’est pas tributaire du temps, mais pour le salut des hommes, Il se met à leur portée et inscrit son action dans le temps.
Dieu inscrit son action dans l’histoire des hommes
Je reste très réservé vis-à-vis d’une certaine interprétation qui donne l’impression que la version « johannique » – le don du Saint Esprit le jour de Pâques – et la version de Luc où l’Esprit est donné cinquante jours plus tard, seraient deux expressions différentes du même événement. On relativise cinquante jours en en faisant simplement la forme d’expression d’un auteur différent. Je crois que c’est faux. Il convient de distinguer le lien intemporel entre le Christ et le Saint Esprit – le Saint Esprit repose de toute éternité sur le Christ, c’est une vérité qui dépasse un moment donné, qui tient à la nature même du Christ – et le don du Saint Esprit que le Christ fait à ses disciples, qui s’inscrit dans le temps des hommes, astronomique, mesurable.
Par conséquent, de même que la Résurrection a eu lieu le troisième jour après la mort, même si la Croix implique nécessairement la Résurrection, trois jours séparent les deux événements. La Résurrection du Christ implique la Pentecôte mais cinquante jours séparent le premier événement du don de l’Esprit à l’ensemble de l’Église. Ce don est effectivement préfiguré par un premier geste destiné plus spécialement aux apôtres, une première étape. Cela se tient, il y a un lien profond entre les deux.
Cette période de cinquante jours comprend donc deux moments très distincts : les premiers quarante jours où le Christ apparaît à plusieurs reprises, où Il est donc présent encore sur terre, avec ses apôtres. Puis les dix jours qui suivent son Ascension au ciel, période d’attente du Saint-Esprit. Les quarante premiers jours, on ne parle pas du Saint-Esprit parce que le Christ est là, invisiblement présent et parfois de façon visible.
Il faut bien remarquer, et saint Pierre le souligne, que le Christ ne s’est montré après sa Résurrection qu’à ses seuls disciples. Il y a là un paradoxe. D’une part, il s’agit bien d’un événement réel et objectif, pas simplement d’une sorte de vision subjective de tel ou tel apôtre ou de tel groupe de personne. Il est ressuscité, Il apparaît objectivement. « Je ne suis pas un esprit, un esprit n’a pas de chair et d’os comme vous voyez que J’en ai. » Il mange avec eux : « Avez-vous quelque chose à manger ? » Luc nous dit qu’ils lui donnent du poisson et un rayon de miel pour bien montrer qu’Il est vraiment, objectivement, corporellement présent. Mais cette présence réelle et corporelle est réservée à ses disciples, à ceux qui croient en Lui. Par conséquent, ce n’est pas une présence qu’on aurait pu photographier. L’incroyant ne peut pas le voir. Les disciples d’Emmaüs ont les yeux aveuglés tant qu’ils n’accèdent pas à la foi. C’est une présence objective mais liée à la foi. Il y a là une sorte d’antinomie.
Contempler la Résurrection chaque dimanche
Nous ne pouvons être chrétiens si nous ne croyons pas en la Résurrection du Christ, c’est le point central ! Après avoir communié, nous disons : « Ayant contemplé la Résurrection du Christ. » C’est dans le mystère eucharistique que chaque dimanche nous contemplons la Résurrection du Christ et que, dans un certain sens, nous continuons à en faire l’expérience. C’est là que nous rencontrons le Ressuscité.
La caractéristique, la définition même du chrétien consiste à croire en la Résurrection du Christ.
Il est important de souligner que tous ceux qui aujourd’hui tentent de contourner l’obstacle, de rationnaliser l’événement, d’éviter de confesser la Résurrection, passent à côté de l’essentiel de la foi chrétienne.
Tant en français qu’en grec ou en russe, le « dimanche » est le jour du Seigneur et de la Résurrection. Tous les dimanches, aux matines, avant la célébration de la divine eucharistie, nous lisons un passage de l’Évangile de la Résurrection, l’un des onze récits de la Résurrection du Christ. Le prêtre ne proclame pas ce passage de l’Évangile face au peuple, mais il se tient à la droite de l’autel, qui représente la tombe du Christ, comme l’ange dans la tombe annonçant la Résurrection. Dès qu’il a lu l’Évangile, il le présente au peuple, la face de l’évangéliaire où il y a l’icône de la Résurrection tournée vers l’assemblée, et le chœur chante : « Ayant contemplé la Résurrection du Christ… » Les fidèles viennent alors embrasser l’icône du Christ ressuscité représentée sur l’Évangile, par lequel on vient d’annoncer la Résurrection. Ainsi, tout le peuple prend conscience concrètement que le dimanche est vraiment le jour où nous contemplons et où nous célébrons la Résurrection du Christ. La célébration eucharistique de chaque dimanche est le mémorial, le souvenir actuel et vécu aujourd’hui dans le Saint-Esprit, de la mort, de la Résurrection, de l’Ascension, du siège à la droite du Père et de la deuxième venue du Christ.
Les portes du Royaume nous sont ouvertes
Considérons maintenant un détail à la fois pratique et symbolique. Dans les Églises orthodoxes, les portes centrales de l’iconostase qui permettent de voir l’autel symbolisent les portes du Royaume de Dieu. Habituellement fermées, ces portes s’ouvrent pendant la célébration. Or, durant la période pascale, pendant les quarante jours où le Christ est présent sur terre, ces portes demeurent ouvertes. Les portes du Royaume ont été ouvertes le jour de la Résurrection. Elles se sont ouvertes pour laisser entrer le Fils de Dieu revêtu de la nature humaine. Le Royaume de Dieu nous est ainsi ouvert, à nous les hommes.
Il existe d’ailleurs, au moment de la consécration d’une église orthodoxe, un rite particulier : les portes du bâtiment sont fermées et l’évêque y frappe en citant la phrase du psaume 23 : « Ouvrez-vous portes éternelles.» De l’intérieur, une seule personne restée dans l’église, demande : « Qui es-tu ? » « Je suis le Roi de gloire. » Et les portes s’ouvrent. Les Grecs ont également conservé ce rite durant la nuit de Pâques. Après avoir lu l’Évangile vers le monde, sur le parvis de l’église où sont sortis les fidèles, on frappe à la porte et on l’ouvre après l’annonce de la Résurrection. Le peuple entre alors à nouveau dans l’église.
Il est évident que la Parole de Dieu entre dans la conscience des hommes et dans la vie des peuples à travers les liturgies, les cérémonies. Le peuple de Dieu n’est pas intellectuel, il n’y a pas seulement des gens qui lisent des livres. Si la Parole de Dieu n’était accessible qu’à ceux qui sont capables de consacrer le temps et l’attention nécessaires pour lire un livre, alors la Parole de Dieu ne toucherait pas la masse du peuple. Tandis qu’à travers les rites, les cérémonies, la liturgie – à condition qu’elle soit vraiment biblique – la Parole de Dieu entre dans les cœurs, dans les consciences et finalement dans le corps de l’Église.
On pourrait dire que la caractéristique de cette période pascale est essentiellement d’associer ce que saint Irénée appelle « les deux mains du Père » : le Fils et le Saint Esprit, la Parole et le Souffle. Selon le psaume 33, Dieu a tout créé par sa Parole et par son Souffle. La Parole se manifeste en la personne du Verbe incarné et ressuscité, qui aussitôt souffle sur ses disciples et leur donne l’Esprit. L’Église vit sans cesse de ces deux mains du Père qui sont en train, comme l’exprime saint Irénée, de « pétrir la pâte humaine pour en faire le corps du Christ, pour en faire le pain de Dieu. »
P. Cyrille Argenti (+)
Le père Cyrille Argenti fut une figure majeure de l’orthodoxie en France au XXe siècle. Résistant, moine et prêtre à Marseille, il a œuvré à l’avènement d’une orthodoxie d’expression locale ainsi qu’au dialogue oecuménique.
Pour lire d’autres textes du père Cyrille :
https://monastere-de-solan.com/content/24-pere-cyrille
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