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Les chrétiens et le blasphème (1) : Panem et circenses

La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Paris a suscité une vague de polémiques, durant l’été 2024, du fait que des chrétiens se sont sentis choqués par certaines scènes jugées parodiques voire blasphématoires. D’autres ont au contraire pris la parole pour affirmer que le blasphème ne peut affecter les disciples du Crucifié-Ressuscité, Lui qui au jour de sa Passion a accepté les coups, les crachats et les moqueries. Le Sycomore propose à ses lecteurs une série d’articles en vue de réfléchir à cette notion dans une perspective chrétienne.

Le présent texte – dont l’intégralité peut être retrouvée sur le site  Les cigales éloquentes – évoque des figures de comédiens antiques qui, parodiant sur scène des éléments du christianisme, se sont alors convertis.

« Du pain et des jeux ! » Chacun connaît cette phrase tirée d’un poème de Juvénal et passé en adage chez nous : donnons au peuple du pain et des jeux, et il se laissera gouverner dans une morne indifférence.

C’est donc le temps de « Jeux olympiques » de Paris, avec son corollaire la Cérémonie d’Ouverture.

Je dois avouer que, n’étant guère friand de ces manifestations télévisées en mondovision, je renâclais un peu à visionner le spectacle. […]

Ce n’est donc que le lendemain que j’appris qu’un « tableau » de la Cérémonie d’Ouverture avait suscité des réactions plus ou moins outrées des chrétiens français et d’ailleurs : une sorte de parodie du dernier repas du Christ avec ses disciples, tel qu’il est représenté par Léonard de Vinci, parodie perçue par beaucoup comme une véritable provocation.

Je laissais passer quelques jours, pour ne pas réagir trop à chaud, le temps de lire des billets d’opinions un peu construits.

Le temps aussi de laisser remonter à la surface de ma mémoire des choses anciennes, du temps où les chrétiens étaient vraiment en butte aux persécutions de l’Etat.

Laissez-moi vous dresser le tableau.

L’empereur romain décide une fois de plus de nettoyer un peu la société de cette lie de l’humanité que sont les chrétiens en organisant des rafles, des appels à dénonciations…

Coup de projecteur donc sur ces gens sans aveux, qui méprisent les cérémonies cultuelles, qui rejettent les dieux de l’Empire, et qui, on ne le sait que trop, mènent des vies sans morale aucune. L’occasion est trop bonne pour les troupes de comédiens de moquer ces sectaires et leurs croyances étranges.

Ainsi voit-on, en 297, sur une scène de fortune, Gélasios[1] et ses copains parodier une scène de baptême à grand coup de seaux d’eau, scène dont l’effet clownesque faisait hurler de rire le public citadin.

Ainsi voit-on, vers 361, à la demande de l’empereur Julien (qui n’avait rien voulu garder de sa jeunesse chrétienne, et qui souhaitait un spectacle plein de finesse dans le cadre des festivités accompagnant son anniversaire) un comédien se jeter lui-même dans un baquet d’eau après forces cabrioles en glapissant « Et maintenant, sous vos yeux ébahis, le serviteur de Dieu Porphyre est baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ! ».

Ainsi encore a-t-on pu voir un autre acteur, n’ayant pas peur de l’outrance, jouer au martyre, se faisant crucifier « pour de rire » et lancer des « Holala, que c’est dur d’être chrétien ! » à l’époque de l’empereur Maximien.

Allez, un dernier. Ayant appris que l’empereur Dioclétien, farouche persécuteur des chrétiens devait être à Rome tel jour, un comédien du nom de Genès décida de faire une pièce dans laquelle il jouerait un homme malade, à l’article de la mort, décidant de recevoir le baptême, avec tous les gags nécessaires.

Face à cela, le tableau officiellement bacchique (et peut-être bien cryptiquement anti-chrétien) de la Cérémonie d’Ouverture des JO de Paris, c’est un peu plus léger.

Et, plutôt que de sur-réagir à cette possible provocation, peut-être serait-il plus chrétien de se souvenir, comme je l’ai lu dans un commentaire sur ce sujet, que ces acteurs sont aussi des humains « qui sans le savoir ni le sentir portent toujours malgré eux l’image de ce Dieu qu’ils ignorent et bafouent « .

Est-ce utopique de leur vouloir du bien, même si on se sent offensé ?

Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que les noms des comédiens moqueurs que j’ai donnés plus haut, je ne les ai pas inventés : ils ont été conservés par les chrétiens. Chacun d’entre eux, sur scène, s’est senti retourné, bouleversé, converti. Et est passé, devant un public médusé, de la bouffonnerie gaudriolesque à une confession de foi des plus sérieuse, ardente.

Et si leurs noms ont été conservés, c’est qu’ils ont payé de leur vie ce retournement : tous ont été condamnés par l’Autorité de l’époque, ont été exécutés comme chrétiens et sont comptés au rang des martyrs[2].

Ce sont, bien sûr, des cas exceptionnels, et sans doute d’innombrables comédiens ont moqué les chrétiens sans se convertir. Et alors ?

—–

Notes et références : 

[1] C’est précisément une icône moderne de St Gélase : on le voit portant au bras les deux « masques » de la comédie antique

[2] Initialement, c’est dans « La vie en Christ » de Nicolas Cabasilas II. 81-84 (SC 355) que j’ai croisé ces figures de martyrs, il y a bien longtemps.

Albocicade

Publié le 3août 2024 sur le blog Les cigales éloquentes.

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