La fête olympique se prépare, l’excitation monte. En elle la foule s’apprête à noyer ses chagrins et ses angoisses pour y trouver un peu de liesse ou d’ivresse, pour se sentir un temps peuple heureux et fraternel.
Et les chrétiens ne seront pas en reste puisque le Parisien nous annonce l’ouverture au cœur du village olympique d’une aumônerie interreligieuse où « les visiteurs et les sportifs pourront déposer via des écrans tactiles des intentions de prière et auront également la possibilité de faire bénir des objets – tee-shirts, ballons, casques ». L’archevêque auxiliaire de Paris, monseigneur Philippe Marsset nous rappelle d’ailleurs, à l’occasion de la bénédiction d’une chapelle dédiée aux sportifs dans l’église de la Madeleine, qu’« au petit matin de Pâques, celle-ci [Sainte Marie de Magdala] a couru très vite jusqu’au tombeau du Christ et a devancé les apôtres Pierre et Jean. C’est une championne. Elle a eu sa médaille d’or et j’espère à présent qu’elle nous en donnera d’autres ». Stupéfiant.
Idéologie consensuelle, « l’olympisme » est « une philosophie de vie » qui vise selon la charte olympique à « mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. ». Ambition à concilier avec l’esprit de performance résumé par la fameuse devise « plus vite, plus haut, plus fort ». Et notre président M. Macron qui ne ménage pas sa peine pour essayer de mobiliser athlètes et citoyens car bien entendu : « il nous faut le maximum de médailles. »
On pourrait simplement s’étonner à la lecture d’un discours si creux, à la publicité d’une ambition si naïve et entrer de bon cœur dans la ronde, mais hélas, qui osera dire aujourd’hui qu’il n’en connaît pas la discrète mais bien réelle contrepartie ?
Car, loin d’être seulement l’occasion d’une saine émulation physique qui crée du lien entre les participants et leurs supporteurs, les Jeux sont aussi la grande fête des puissants : celle des marchands de soda ou de voiture, des vendeurs de fripes ou de crédits dont les noms s’étalent sur les murs, les vêtements et les écrans ; la fête des états passés maîtres, de Berlin à Moscou, dans l’instrumentalisation du sport. C’est aussi une occasion toujours bienvenue, et les exemples ne manquent pas, de « nettoyage social » sous couvert de modernisation ou de ce que l’on nomme pudiquement « amélioration du cadre de vie urbain ». Migrants sans-papiers travaillant sur les chantiers, sans-abris envoyés en province, « aménagements » pour éloigner les tentes des abords de la Seine, nombreuses sont les associations humanitaires réunies dans le collectif « le revers de la médaille » qui depuis des mois tentent d’alerter l’opinion. « J’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli ». Pour la grande fête « populaire » toute la « poussière » doit être mise sous le tapis, le 77 rue de Lourmel vidé de ses occupants.
« Le rêve de réaliser le bonheur d’une humanité abstraite, non seulement restera un rêve, mais il se transformera en haine et en cruauté si nous ne destinons pas, tout d’abord, notre amour et notre sollicitude à chaque homme en particulier » a pu dire le père Alexandre Schmemann à propos de l’idéologie mortifère de son époque.
Il est difficile de mettre en cause aujourd’hui l’institution olympique sans s’attirer quelques remarques. Que personne ne se méprenne pourtant sur ce qui est ici contesté : ce n’est pas le sport en soi car celui-ci est un excellent moyen d’intégration, créateur de mixité sociale, une expérience de partage et de communion entre pairs à l’heure où les inégalités sociales ne cessent de croître dans nos sociétés ainsi qu’une activité non-utilitaire, portée par le simple plaisir du jeu. Paradoxe apparent, le refus du grand spectacle olympique est ainsi largement la défense des véritables vertus du sport.
Et pour ceux qui trouveraient cette dénonciation trop caricaturale, rappelons-nous tout de même avec quelle véhémence se dressèrent saint Basile ou saint Jean Chrysostome contre l’injustice sociale de leur temps.
Saint Jean Chrysostome dans une homélie sur l’évangile de Matthieu nous rappelle quant à lui : « Veux-tu honorer le Corps du Christ ? Ne commence pas par le mépriser quand il est nu. Ne l’honore pas ici avec des étoffes de soie, pour le négliger dehors où il souffre du froid et de la nudité. Car celui qui a dit : Ceci est mon corps, est le même qui a dit : Vous m’avez vu affamé et vous ne m’avez pas nourri. Quelle utilité à ce que la table du Christ soit chargée de coupes d’or, quand il meurt de faim ? Rassasie d’abord l’affamé et orne ensuite sa table. Tu fabriques une coupe d’or et tu ne donnes pas une coupe d’eau. En ornant sa maison, veille à ne pas mépriser ton frère affligé : car ce temple-ci est plus précieux que celui-là… »
On pourrait encore citer la parabole du Jugement (Mat. 25, 31-46) ou ces paroles sans équivoque du Christ nous enjoignant à choisir entre Dieu et Mammon : « Nul ne peut servir deux maîtres ; car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre: vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Mat. 6, 24). L’amour évangélique pour le frère est radical. Les voies de la domination, les visages de la violence sont probablement aujourd’hui plus subtils et plus discrets qu’au temps des Pères : il nous est d’autant plus facile de détourner le regard, courant bien plus souvent le risque de la tiédeur que celui de la clarté d’un engagement vigoureux (pourtant « je voudrais que tu fusses ou froid ou bouillant ! » Ap. 3, 15).
Il ne s’agit pas ici, alors que la fête olympique approche, de diaboliser les uns ou les autres car il va sans dire que nous sommes tous, politiques, responsables de grandes entreprises ou citoyens, de pauvres gens qui ont « mis en lambeau le vêtement originel que le Créateur avait tissé, […] gisant dans la nudité » (canon de saint André). Mais prenant l’exemple autrement plus dramatique de la guerre à l’est de l’Europe, peut-on s’en tenir à ce simple constat ? Mettre le doigt sur nos manquements personnels et collectifs n’est-il pas le premier pas pour retrouver le chemin du Christ ?
Au milieu de cette agitation où les millionnaires du football se signent pour rendre grâce à Dieu de leur avoir accordé la victoire, l’Église des chrétiens doit être « le levain dans la pâte » de la société humaine. Et cela ne se fait jamais sans douleur tant le Christ que nous aimons est aussi l’importun qui dissipe les bonheurs frelatés et fait tomber les masques grimaçants. Grain de sable dans la belle machine qui broie en silence les vies des gens de rien.
Car Il est le Seigneur de gloire qui s’abaisse avec douceur, acceptant de se faire toujours plus faible pour partager notre humaine condition.
Il est Celui qui foule de son pas léger la trop humaine et primitive devise.
Diacre Julien Guillou
Julien Guillou est marié, père de 3 enfants et diacre de la paroisse Saint-Jacques, frère du Seigneur, à Quimper. Il est paysan et travaille en famille à la culture des légumes, à l’élevage des vaches laitières et à la confection du pain.
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