Saint Irénée combat les gnostiques par cinq livres qui forment un ensemble intitulé Contre les hérésies. D’une façon très consciencieuse, il étudie leurs croyances, qu’il connaît à fond, car il sait qu’on ne peut contredire et réfuter une doctrine que si on la connaît bien soi-même. Il va ainsi combattre ces trois hérésies, celle qui oppose le Dieu d’Israël au Dieu de Jésus Christ, celle qui interprète les Écritures à sa guise et celle qui d’une certaine manière fractionne la personne du Christ, qui sépare en Lui Dieu et l’homme.
Interpréter l’Écriture par l’Écriture
Tout d’abord, saint Irénée va s’efforcer, par une étude très poussée et très minutieuse des Évangiles, des épîtres de Paul et de Jean et des livres de l’Ancien Testament, de démontrer l’unité de l’Écriture Sainte. Du même coup, il nous indique la bonne méthode pour aborder l’étude de l’Écriture Sainte. En effet, l’erreur fréquente est de la lire de façon fragmentaire : on s’empare de tel Évangile ou de telle épître ou de tel fragment d’Évangile ou de tel fragment d’épître et on en cite ce qui nous convient, ce qui nous paraît conforme à notre propre théorie.
Saint Irénée, en citant les hérésies gnostiques, dit qu’en prenant par exemple tel passage de l’Évangile de Marc, on oublie que ce même Marc a dit à tel autre endroit ce qu’on nie, ce qu’on ignore : la méthode est arbitraire. Et il montre en détail l’accord profond qui existe entre tous les évangélistes et les épîtres de Paul, de Jean et des autres apôtres, de même qu’entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament.
Il faut faire de la Bible une lecture globale pour saisir l’esprit de l’Écriture Sainte et pour interpréter l’Écriture par l’Écriture. On ne comprend pas un passage de l’Évangile ou un passage d’une épître de saint Paul en l’interprétant à travers notre philosophie personnelle. C’est cette méthode orgueilleuse et égoïste qui conduit à toutes les hérésies ; c’est-à-dire que l’hérésie consiste à se servir de l’Écriture pour justifier sa propre doctrine, au lieu de se mettre à l’écoute de l’Écriture, au lieu d’écouter la Parole de Dieu. Lorsqu’on adopte cette attitude d’écoute et qu’on lit tout doucement, progressivement, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, l’Écriture Sainte, on en découvre petit à petit l’unité profonde et on en comprend le sens profond.
Par exemple, saint Irénée nous fait remarquer que saint Luc, l’auteur de l’Évangile, l’auteur des Actes des apôtres, est aussi le compagnon bien-aimé de saint Paul. C’est lui qui l’accompagne au cours de tous ses voyages missionnaires à partir de l’an 50, lorsque Luc passera de Troie, en Asie Mineure, à Philippes, en Macédoine, pour rester auprès de lui. Il rendra visite à Paul lorsqu’il sera en prison à Rome ; c’est là que ce dernier, dans l’une de ses lettres, appellera Luc « le médecin bien-aimé. » Saint Irénée nous fait remarquer aussi que l’Évangile de saint Luc et les Actes des apôtres traduisent en fait la pensée même de l’apôtre Paul dont Luc est à la fois le compagnon et le disciple.
Il nous montre donc combien il est absurde et faux d’opposer les Écritures entre elles. Combien de gens le font encore aujourd’hui, en particulier dans des milieux judaïsant où l’on a tendance à opposer saint Paul aux évangélistes, comme si la pensée de Paul était autre que celle des évangélistes, comme si Luc n’était pas lui-même le traducteur, celui qui exprime la pensée de Paul, comme si Pierre n’était pas le compagnon de Paul, comme si Marc n’était pas celui qui exprime la pensée de Pierre, comme si Jean n’était pas l’ami intime de Pierre, comme si Jean et Luc n’avaient pas connu Matthieu !
Saint Irénée arrive, par une étude détaillée des Évangiles et des épîtres, à nous démontrer l’unité profonde de tout le Nouveau Testament. En même temps, en citant sans cesse les prophètes de l’Ancien Testament, en citant la Genèse, Moïse, le prophète Élie, et abondamment le prophète Isaïe, les Psaumes, comme le fait le Nouveau Testament, il nous montre aussi sans cesse que c’est la même pensée, le même Esprit Saint qui inspire la même Parole de Dieu à travers toute la Bible.
Unité de la Personne du Christ
Par cette lecture globale de la Bible, saint Irénée nous fait découvrir l’unité profonde de la Personne de Jésus le Christ. Il nous montre que lorsque saint Matthieu souligne que Jésus, né de la Vierge Marie par l’opération du Saint-Esprit, est le Fils du Très-Haut, il rejoint saint Luc. Dans les deux Évangiles de l’enfance, Jésus apparaît comme le Fils de la Vierge, mais en même temps comme le Fils de Dieu devenu Fils de la Vierge. C’est justement ce que nous explique saint Jean lorsqu’il nous dira « le Verbe s’est fait chair »2, le Fils de Dieu est devenu Fils de la Vierge. C’est ce que saint Marc nous fait comprendre dès le début de son Évangile lorsqu’il nous raconte le baptême de Jésus et que la voix du Père se fit entendre en l’appelant Fils bien-aimé. Dans tous les Évangiles, dans toutes les épîtres, la Personne du Christ apparaît une. C’est la Personne même du Verbe incarné, la Personne même du Dieu fait chair, du Fils unique de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, Dieu comme son Père, qui est devenu homme.
Saint Irénée insiste sur ce point : parce que Jésus est le Christ, c’est à dire l’Oint, celui qui a reçu du Père l’onction du Saint Esprit, Il donne à son Église et aux membres de cette Église ce Saint Esprit qui repose sur Lui. Parce qu’Il est l’unique Christ, c’est-à-dire l’unique Oint du Père, oint par l’onction de l’Esprit, Il donne cet Esprit à son Église. Elle vit de ce don de Dieu, de cet Esprit du Christ, l’Esprit qui vient du Père et qui repose sur le Fils.
Lorsque le Fils donne son Esprit aux hommes, Il fait de ces hommes des fils par adoption de l’unique Père. Et c’est cela un chrétien.
Un chrétien est un homme qui est redevenu, par l’onction de l’Esprit, un fils adoptif du Père et, par conséquent, un homme vivant, un homme en qui l’image de Dieu a été renouvelée, un homme qui entre dans l’intimité de Dieu parce qu’il est redevenu fils du Père. C’est la merveille de l’adoption qui fait de nous en même temps des frères.
Saint Irénée nous montre comment cette foi fondamentale de l’Église nous fait découvrir la joie de la Bonne Nouvelle, de l’unique Évangile, exprimée par les quatre évangélistes dans la continuité des prophètes et se prolongeant dans l’enseignement de l’Église du Christ.
Père Cyrille Argenti (+)
Le père Cyrille Argenti (1918-1994) fut une figure majeure de l’orthodoxie en France au XXe siècle. Résistant, moine et prêtre à Marseille, il a œuvré à l’avènement d’une orthodoxie d’expression locale ainsi qu’au dialogue oecuménique.
Source : https://monastere-de-solan.com/content/24-pere-cyrille
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