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Saint Sophrony l’iconographe

Saint Sophrony l'Athonite. Iconographe : Hélène Bléré.

Notre époque nous a laissé le précieux témoignage d’un iconographe réunissant dans sa personne une expression artistique accomplie et une élévation spirituelle exceptionnelle. Il s’agit de saint Sophrony l’Athonite (1896-1993) canonisé en 2019 et qui fut disciple de saint Silouane de l’Athos. Saint Sophrony fut dans sa jeunesse un artiste accompli avant d’embrasser plus tard la voie monastique. C’est à un âge avancé et porteur d’une vaste expérience spirituelle que saint Sophrony revint à la peinture, précisément à l’iconographie traditionnelle, dans le but de transmettre la réalité spirituelle qu’il avait connue.

« [Saint Sophrony] comprenait l’iconographie comme la transmission stylisée d’une beauté pure qui devait être d’un autre monde et exempte d’aspects charnels et naturalistes. L’icône devait être l’image d’un monde ou d’une personne transfigurée, une projection dans l’éternité. »1

Ces derniers mots appartiennent à Sœur Gabriela qui nous donne un éclairage approfondi sur ce que fut le chemin artistique de saint Sophrony dans les nombreux ouvrages qu’elle a publiés récemment.

Depuis sa jeunesse le Père Sophrony se posait la question de la création et de la vérité dans l’art. Par le passé, il avait recherché le sens de l’Être à travers l’art, mais plus tard il prit conscience que la voie de la vraie création consiste à s’approcher du Créateur Lui-même, de Celui qui est l’Être véritable. Pour lui, la question de la vraie création trouvait sa réponse dans la proximité de l’homme avec Dieu. Voici comment il s’exprimait à ce sujet à l’aide d’une belle image – celle d’une personne contemplant un peintre en train de travailler :

« L’art a quelque chose qui peut aider à se rapprocher du premier Artiste. Quand il m’arrivait de peindre des paysages en plein air, des curieux s’approchaient par derrière et regardaient longtemps en silence ce que je peignais. De même j’aimerais pouvoir me tenir derrière le Seigneur et Le regarder créer. »2

Et qui est ce premier Artiste, sinon Dieu, le Créateur de toutes choses ?

Plutôt que d’opposer art profane et iconographie, saint Sophrony nous montre la voie à suivre qui n’est autre que celle de l’homme uni à Dieu, telle qu’elle se trouve aussi décrite et présentée par Vladimir Lossky dans son Essai sur la théologie mystique de l’Eglise d’Orient3. Sous cet angle, l’artiste est fondamentalement un homme de désir, qui voit en Dieu le créateur de toutes choses, l’Artiste véritable, en qui sont présents le Bien, le Beau et le Vrai. L’homme cherchera donc à s’approcher autant que possible de la véritable source de la création dans une démarche pleine d’humilité.

Nous terminerons par ces quelques mots de saint Sophrony à propos des iconographes :

« […] Il y a beaucoup d’artisans mais peu de vrais iconographes. Faites une icône — une belle icône — pas comme un ouvrier, mais comme un artiste. »4

Ici nous est montrée l’importance de la personne dans le processus de la création artistique. L’approche artistique est une composante essentielle du chemin de l’iconographe pour autant qu’elle soit transfigurée par une vie spirituelle profonde et authentique. Dans ce cas, la tâche du peintre d’icône ne se résume pas à copier, reproduire, imiter littéralement un modèle, mais bien à l’interpréter et le recréer en profondeur, conscient qu’il est de son indigence face à un tel sujet et pleinement ouvert à l’action de l’Esprit Saint.

La peinture d’une icône s’élabore, se vit, se conçoit et s’exécute dans le cœur profond du peintre. Cela revient à dire que le vrai sens de la peinture engage l’homme tout entier, corps – âme- esprit,  et non pas seulement son intellect et ses dons artistiques. L’artiste est avant tout un homme de désir, traversé par le sens aigu et tragique de la condition humaine et qui aspire à s’élever vers l’éternité et la présence de Dieu. Dans cette quête pleine d’humilité, le peintre d’icônes cherche à faire une œuvre tournée vers ce qui est l’essentiel : la personne, à la fois celle représentée sur l’icône et celle qui regarde, établissant entre elles une relation vivante.

« C’est cela que montre le visage des saints sur les icônes. Ils sont lumineux, ils sont glorieux, et en même temps ils ne se détournent pas, ils ne rejettent pas la souffrance des autres, ils y participent et la prennent sur eux. C’est pour cela que cette joie est une joie douloureuse, une joie sans frivolité. »5

Hélène Bléré

Hélène Bléré est iconographe, formée à l’école de saint Sophrony l’Athonite. Elle a peint de nombreuses icônes et fresques pour les paroisses et monastères de France, et au-delà.

Cet article est extrait de l’intervention « Quelques mots sur l’icône : caractéristiques et fonctions essentielles », publié dans le Bulletin de la Crypte, nouvelle série, n° 11-12, hiver 2023-2024.

Pour approfondir et voir des oeuvres de saint Sophrony, c’est par ici.


  1. Moniale Gabriela, A la recherche de la perfection dans l’art – Le chemin artistique du père Sophrony, troisième édition corrigée 2020, Stavropegic Monastery of St John the Baptist, Essex, UK, p. 131.
  2. Moniale Gabriela, Etre – L’art et la vie du Père Sophrony, publication du Monastère Stavropégique Saint-Jean-Baptiste, Essex, GB, 2021, p. 98.
  3. Vladimir Lossky, Essai sur la théologie mystique de l’Eglise d’Orient, Paris, Aubier, 1944.
  4. Moniale Gabriela, La quête de la perfection dans l’art – Chemin artistique de père Sophrony, 2019, Stavropegic Monastery of St John the Baptist, Essex, UK, p. 144.
  5. Archimandrite Syméon (+2009) – Père spirituel du monastère Saint-Jean-Baptiste (Essex, GB).

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