Un très beau texte de la commission Foi et Constitution du Conseil Œcuménique des Églises, datant de 1963, nous dit :
« Nous pouvons dire que nous existons comme chrétiens par la Tradition de l’Évangile [c’est-à-dire la transmission de la Bonne Nouvelle], attestée dans l’Écriture et transmise dans l’Église et par elle, par la puissance du Saint-Esprit. Prise dans ce sens, la Tradition est actualisée dans la prédication de la Parole, dans l’administration des sacrements, dans le culte, dans l’enseignement chrétien, dans la théologie, dans la mission et le témoignage rendu au Christ par la vie des membres de l’Église. Ce qui nous est transmis par la Tradition est la foi chrétienne, non seulement comme un ensemble de doctrines, mais comme une réalité vivante et transmise par l’opération du Saint Esprit. Nous pouvons parler de la Tradition dont le contenu est la révélation de Dieu, le don qu’Il a fait de Lui-même en Christ, sa présence dans la vie de l’Église. »
Ce texte assez dense – qui peut, à mon sens, faire l’unanimité des catholiques, des protestants et des orthodoxes – a été énoncé dans une réunion de la commission Foi et Constitution, à Montréal, et, deux ans plus tard, il y a eu un texte de Vatican II très proche de celui-là. La prédication des apôtres, c’est-à-dire l’annonce de l’Évangile, de la Bonne Nouvelle, est conçue dans ce texte comme la source commune à la fois des textes écrits du Nouveau Testament et de toute la prédication par les apôtres de la Bonne Nouvelle. Cette Bonne Nouvelle est la Parole de Dieu et cette Parole est quelqu’un, le Verbe divin, la deuxième Personne de la Trinité. Par conséquent, la transmission de la Parole, c’est Lui, et cette permanence de la présence du Christ dans son Église est l’œuvre du Saint-Esprit. C’est le Saint-Esprit qui rend présent le Fils, c’est Lui qui L’a rendu présent dans le sein de la Vierge Marie, Lui qui sans cesse Le rend présent dans l’Église. On peut donc dire que la Tradition est la vie de la Parole dans l’Église par l’action permanente du Saint-Esprit. De même que vous diriez qu’un arbre est le même aujourd’hui et il y a cinq ans, de même l’Église est la même parce qu’elle vit et que cette vie est le Saint-Esprit.
C’est le Saint-Esprit qui assure la pérennité, la permanence de la présence de la Parole dans l’Église. Cette vie du Christ dans l’Église, cette action du Saint-Esprit qui transmet la Parole de génération en génération, c’est la Tradition.
L’Église est le corps du Christ, c’est en elle que tout se passe, elle est le lieu où la Parole de Dieu habite et résonne. Par conséquent, opposer la Tradition à la Parole n’a pas de sens car la Tradition est la présence de la Parole dans l’Église, qu’elle soit écrite ou prêchée. Il s’agit de bien identifier la Parole avec la Personne du Fils et la Tradition avec l’Esprit.
Il n’y a pas besoin d’un garant du Saint-Esprit dans l’Église. C’est le consensus de l’Église qui montre comme conforme ce qui y est dit et enseigné. La conscience d’Église est une réalité mystérieuse. L’Église est garante de la transmission de la foi puisqu’elle est le lieu où résonne la Parole. La fameuse querelle de savoir si c’est le concile ou le pape qui est le garant est une fausse problématique. Ce n’est ni l’un ni l’autre : le Saint-Esprit souffle où Il veut et le concile n’est reconnu comme œcuménique que s’il a été accepté par le peuple de Dieu. L’enseignement de l’Église doit s’identifier avec la prédication des apôtres. Je ne pense pas qu’il y ait de critère juridique ou institutionnel qui puisse juger de l’authenticité d’un concile. Saint Grégoire de Nazianze, au plus fort de la querelle arienne, arrivant comme patriarche de Constantinople, ne trouve qu’une seule église qui soit restée orthodoxe dans cette grande ville qui en compte une multitude. Les orthodoxes étaient alors minoritaires dans l’institution même de l’Église.
Le Saint-Esprit a agi dans les conciles à travers des réunions tumultueuses, où l’on criait et se disputait, où parfois même on se battait, et cependant la Parole est passée ! Dans les conciles se trouve une continuité de la Parole de Dieu où, chaque fois, l’essentiel est préservé et relancé, contre ceux qui auraient rendu impossible le salut en faussant la vérité qui nous libère.
L’Esprit Saint vit dans l’Église, Il vit dans la conscience de tous ses membres et c’est dans le consensus de l’Église, c’est-à-dire la voix de l’Esprit Saint, que s’exprime, non pas par une autorité, ni par un individu, mais dans l’accord des croyants à travers le temps et l’espace, le signe de ce que « l’Esprit dit aux Églises » (Ap 2,7 ; 3,22) et le signe qu’une parole est conforme à la Tradition.
La Tradition doit sans cesse être purifiée des traditions. Il ne faut pas confondre les petites coutumes locales et folkloriques avec cette action du Saint-Esprit rendant la Parole présente. La Tradition, c’est la vie de la Parole dans l’Église, la vie qui fait qu’un arbre est le même hier et aujourd’hui, même s’il a grandi entretemps, que vous êtes les mêmes qu’il y a quelques années, bien que vous ayez changé entretemps. La vie d’une personne est ce qui assure son identité à travers le temps. Ce qui assure l’identité de l’Église à travers les siècles, c’est cette action du Saint-Esprit qui est la vie du Christ dans l’Église.
P. Cyrille Argenti (+1994)
Source : Livret « Vivre la Tradition », p. 2-5, disponible ici.
Le père Cyrille Argenti fut une figure majeure de l’orthodoxie en France au 20e siècle. Résistant, moine et prêtre à Marseille, il a œuvré à l’avènement d’une orthodoxie d’expression locale ainsi qu’au dialogue oecuménique.
Pour lire d’autres textes du père Cyrille :
https://monastere-de-solan.com/content/24-pere-cyrille
Les commentaires sont désactivés.