Cet article est la deuxième partie de l’article du P. Cyrille Argenti sur la Tradition par l’Esprit Saint. Vous pouvez trouver la première partie de l’article ici.
Refléter le visage du Christ
La Tradition est tout ce qui tient à la personne même du Christ, contemplé dans le Saint-Esprit. Si je vous dis par exemple : « Il faut brûler un hérétique », cela est contraire à l’Esprit du Christ. C’est une hérésie, celui qui dit cela est en contradiction avec la pensée, avec le caractère profond du Christ. Ce n’est donc pas la Tradition de Celui qui a dit : « Que celui qui veut Me suivre renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il Me suive » (Mt 16,24). Si j’ai une attitude ou une parole contraire à une parole ou à un comportement du Christ, je ne suis plus dans la Tradition, je suis dans l’hérésie.
Je dirais qu’être orthodoxe au sens étymologique – qui est finalement le seul qui compte – c’est-à-dire avoir la vraie foi, c’est présenter du Christ une image, une icône, authentique. Si je déforme le visage du Christ, si je présente Dieu comme méchant, je ne suis plus dans la Tradition. Si j’attribue au Christ des pensées qui ne sont pas les siennes, contraires à son Esprit, à sa vie, si, par exemple, je présente la Croix du Christ comme un instrument de combat, ainsi que l’ont fait les croisades, et non comme le signe de l’amour de Dieu, je ne suis plus dans la Tradition.
La Tradition est un miroir parfaitement plat qui reflète authentiquement le visage du Christ. Mais si mon miroir est légèrement convexe ou concave, il va caricaturer le visage du Christ. Nous sommes toujours en danger de déformer. Quand je suis en train de prêcher ou de faire une conférence et que je vois sur le visage de mes auditeurs une grimace, une gêne, je sais que ce que je dis n’est pas vraiment orthodoxe et que j’ai besoin de remettre les pendules à l’heure, de corriger ce que je viens de dire.
La parole de saint Jean : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14) est particulièrement précieuse pour les orthodoxes. Nous pensons en effet que la caractéristique de la foi chrétienne, qui la distingue des deux autres grandes religions monothéistes, est la croyance en un Dieu incarné, un Dieu fait chair, un Dieu fait homme. Nous assumons alors toutes les conséquences de cette Incarnation. Nous pensons vraiment que Dieu s’est fait chair et, par conséquent (là, nous avons une différence de sensibilité avec les protestants), c’est dans le corps même de l’homme et de l’Église que se manifeste la présence du Verbe. Nous pensons que nous ne pouvons pas prier sans notre corps, nous ne pouvons pas célébrer un sacrement sans matière, car la matière et la chair ne sont pas imperméables au Saint-Esprit. Par conséquent, la vie conjugale peut et doit être sanctifiée dans ce que nous appelons le sacrement du mariage. Le visage du Christ, étant donné que le Fils de Dieu s’est fait chair, peut être représenté en icône. Nous n’avons pas peur de toutes ces manifestations matérielles de l’Incarnation, nous prenons vraiment au sérieux l’entrée dans la chair du Fils de Dieu.
Qu’est-ce qu’un sacrement ? Ce n’est pas un rite institué par l’Église. Un sacrement est un acte du Christ, la Parole rendue présente et vivante par le Saint-Esprit aujourd’hui. C’est l’actualisation de la Parole, le Verbe rendu présent aujourd’hui, c’est la vie.
« Faites ceci en mémoire de moi. » (Lc 22,19 ; 1 Cor 11,24) C’est une Parole qui est vécue en actes : la Tradition est aussi un style de vie. Lorsque saint Basile fonde des orphelinats, des maisons de retraite et des hôpitaux – la Basiliade – toute cette ville de charité qu’il a édifiée ne fait qu’un avec son enseignement. Aider le frère fait partie de la Bible vécue. La Tradition de l’Église, c’est la Parole de Dieu se manifestant dans un certain style de vie de toute une communauté. Le témoignage des martyrs fait partie de la Bible vécue. « Ce n’est pas celui qui dit Seigneur, Seigneur, mais celui qui met en pratique ma Parole qui entrera dans le Royaume de Dieu. » (Mt 7,21) Toute la communauté chante et met en pratique la Parole de Dieu dans la vie sociale. Ce que l’on appelle par exemple les canons de l’Église, c’est-à-dire les règles qui en régissent la vie, dont on se moque souvent comme s’il s’agissait de recueils juridiques, constitue tout simplement la mise en pratique des commandements de l’Évangile. Lorsque vous lisez un texte de la Bible et qu’ensuite vous précisez comment il doit être appliqué dans la vie quotidienne de la société Église, il s’agit simplement d’une mise en pratique ! La Tradition rejoint alors la Bible.
La Tradition vécue dans la liturgie
La liturgie eucharistique est par excellence le lieu où la Tradition se manifeste, le moment où la Parole de Dieu est entendue, se fait chair et où le Christ ressuscité vit dans l’Église. Le mot « traditionnaliste » fausse le mot « tradition ». Au concile de Vatican II, il s’agissait d’un retour à la Tradition liturgique de l’Église. Il y a une Tradition liturgique, c’est-à-dire une continuité entre les liturgies des premiers siècles et la liturgie actuelle. La structure est la même depuis l’époque des apôtres. L’aberration des traditionnalistes est d’idolâtrer la liturgie du XVIe siècle. La liturgie eucharistique est vraiment l’une des plus belles expressions de la Tradition de l’Église.
Il est important de distinguer l’individuel du personnel. L’individuel, c’est moi tout seul, le personnel, c’est moi en relation avec les frères, moi dans l’Église et devant Dieu. Le jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit est descendu sur chacun des disciples assemblés en Église, en relation avec les autres. Un culte où une seule personne parle, c’est individuel, ce n’est plus l’Église. L’Église est l’ensemble, ce que les Russes appellent la sobornost, être ensemble, être avec, être en relation avec les autres, à l’écoute. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis au milieu d’eux. » (Mt 18,20)
P. Cyrille Argenti (+1994)
Source : Livret « Vivre la Tradition », p. 2-5, disponible ici.
Le père Cyrille Argenti fut une figure majeure de l’orthodoxie en France au XXe siècle. Résistant, moine et prêtre à Marseille, il a œuvré à l’avènement d’une orthodoxie d’expression locale ainsi qu’au dialogue oecuménique.
Pour lire d’autres textes du père Cyrille :
https://monastere-de-solan.com/content/24-pere-cyrille
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